Dette : le mirage des

Dette : le mirage des eurobonds

La solution du problème des dettes souveraines dans l’Eurozone relève de la quadrature du cercle. A moins de faire cautionner les emprunts de chaque Etat par tous les autres, ce que l’Allemagne, en particulier, ne peut accepter. Sauf à pouvoir dessaisir les nations de leurs prérogatives budgétaires. Par tout moyen démocratique. Ou autrement…

Si l’environnement international ne s’améliore guère, les mots pour le décrire ne cessent d’évoluer. Voilà peu, il était hors de question que la Grèce fît défaut sur sa dette, un scénario alors décrit comme apocalyptique par les autorités européennes, qui s’emploient à concocter plan sur plan pour perfuser Athènes des liquidités nécessaires. Tout le monde sachant que la Grèce est incapable d’honorer ses engagements, surtout aux taux absurdes que lui consent le marché, les gesticulations officielles sont à la fois dérisoires et trompeuses. Et les « plans » conçus jusqu’à ce jour nécessairement inopérants : il faudra annuler bien plus que 21% de la dette (taux de dépréciation que les eurobanques ont été autorisées à retenir dans leurs comptes) pour que la Grèce retrouve un équilibre financier crédible, quand bien même appliquerait-elle intégralement les mesures d’austérité qui sont exigées de ses frères européens – et de la Banque centrale. Les ordres de grandeur parlent d’eux-mêmes : 200 milliards d’euros environ de PIB, qui ne cesse de décliner ; 350 milliards d’euros de dettes, qui ne cessent de s’accroître sous le double effet de la récession et de taux d’intérêt assassins. Cela fait donc beau temps que la question d’un défaut grec ne se pose plus ; seul importe désormais le calendrier. Et… les modalités de l’inévitable restructuration qui s’ensuivra.

Voilà pourquoi il est désormais question d’une possible « faillite » du pays, un qualificatif impropre au cas d’espèce : un pays ne peut faire faillite. Il ne peut cesser d’exister et être « liquidé » comme une entreprise déchue, les dépouilles résiduelles étant abandonnées aux créanciers. L’utilisation de ce terme n’est pourtant pas innocente. Elle témoigne de l’angoisse compréhensible des détenteurs d’obligations grecques : si la solidarité européenne joue à plein, les créanciers peuvent espérer retrouver une bonne partie de leur mise, les pots cassés étant alors pris en charge par les autres Etats-membres (par le canal du Fonds de solidarité, en particulier). Si au contraire l’Union jette l’éponge– ce qu’elle eût probablement été bien inspirée de faire dès le début de la crise– alors la Grèce n’aurait d’autre issue que de répudier l’essentiel de sa dette (probablement 70%, décote qu’appliquent aujourd’hui les marchés). Là, évidemment, la purge serait douloureuse…

Une solution : la coercition

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La douleur ne s’arrêterait pas pour autant à ce cas isolé : d’autres pays en difficulté, dont les encours sont autrement plus élevés, seraient également contraints de restructurer, faute de pouvoir compter sur la solidarité de la famille européenne ou sur la compassion de la BCE – comme c’est présentement le cas avec les titres italiens et espagnols, une dérogation aux statuts de l’institution qui a provoqué la démission de son économiste en Chef, Jürgen Stark, un Allemand, donc un orthodoxe. Il va sans dire que les banques européennes, et françaises en particulier, qui se sont gavées d’obligations souveraines très rémunératrices, verraient alors leurs fonds propres fondre plus vite que les neiges du Kilimandjaro. Il est vraisemblable que les allégations fielleuses à l’égard de nos banques, distillées par la presse anglo-américaine, ne soient ni fortuites ni totalement innocentes : toute faiblesse du système financier européen soulage la pression sur le dollar et la livre, qui sont au moins aussi malades que l’euro. Sans tomber dans le « complotisme », on ne peut donc écarter l’intention malveillante. Mais il n’empêche qu’au fond, les alarmes sont pertinentes : déjà fragilisés par le papier grec, à l’avenir incertain mais peu glorieux, les bilans des grands établissements sont à la merci de la détérioration de la solvabilité italienne et espagnole, aussi prévisible que l’augmentation des impôts. C’est pourquoi le monde financier plaide avec ferveur pour l’avènement des « eurobonds », des obligations qui seraient émises directement par l’UE et assorties de… la caution solidaire et indivisible de chacun des Etats-membres. Une assurance quasi-totale de retrouver le capital, les nations les plus riches pouvant alors être amenées à régler la totalité de l’addition en cas de défaillance des emprunteurs. On se doute que l’Allemagne, déjà réticente à soutenir les Grecs par des contributions relativement modestes, ne peut accepter un tel dispositif. Que l’on ne s’y trompe pas : si la caution d’un Etat était limitée à sa quote-part de capital dans le Fonds d’emprunt, les agences n’auraient d’autre issue que d’aligner la note sur celle du plus mal loti. L’exercice serait vain.

La seule issue, pour convaincre l’Allemagne, consisterait à faire un pas décisif vers le fédéralisme, mais cette piste n’a aujourd’hui aucune chance d’être empruntée par des moyens démocratiques. En revanche, l’institution d’une « gouvernance économique » européenne, qui aurait autorité sur les stratégies budgétaires nationales, est une voie que d’aucuns défendent pour parvenir au même résultat : l’abandon de ce qui reste de souveraineté aux Etats, au profit d’une technocratie mécanicienne respectueuse des exigences des marchés. Cette option présente un gros « avantage » : celle de pouvoir se mettre en place sans le consentement exprès des populations. Ainsi, sauf à renoncer à l’Union (et donc à l’euro), on doit à notre grand regret reconnaître que c’est la seule issue praticable pour préserver le système actuel – en supposant qu’il puisse et doive être sauvé. Un constat qui confirme l’antienne de Jacques Rueff que nous ne cessons de rappeler ici : « C’est par les déficits que les hommes perdent la liberté ».

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