Drame grec : l'épilogue

Drame grec : l’épilogue ?

Les Grecs ont parfaitement compris que les « plans de sauvetage » dont ils bénéficient sont la version moderne de la saignée des médecins de Molière. Voici donc venu le choc inévitable entre l’instinct de survie des populations et la raison des créanciers. Le combat est certes inégal. Mais sur ce coup, les financiers ne peuvent pas gagner.

Peut-on espérer voir un jour le drame grec définitivement apaisé ? Encore faudrait-il avoir une idée précise de ce que pourrait être une issue heureuse, tant pour les Grecs eux-mêmes que pour leurs frères européens. Car il semble bien qu’au jeu de la « solidarité » communautaire, en vertu de laquelle Athènes vit sous perfusion (coûteuse pour toutes les parties), ni les transfuseurs ni les transfusés ne soient satisfaits de leur sort. Les bailleurs de fonds entendent que leurs concours soient des prêts et non des dons, alors que personne ne peut raisonnablement croire à l’éventualité du remboursement ; pour entretenir l’illusion, les Grecs sont littéralement étrillés (prélèvements en forte hausse, baisse des revenus et des transferts sociaux) et chaque jour rend nécessaire le renforcement de l’austérité : la récession ne cesse de s’aggraver, au point que les comptes publics continuent de présenter un important déficit primaire – c’est-à-dire avant même le paiement des (seuls) intérêts de la dette.

La situation n’est donc pas embarrassante, ni préoccupante, ni même alarmante : elle est tout simplement désespérée. En conséquence, ce n’est pas l’effet du hasard si les récentes élections ont laminé les positions des partis traditionnels, qui ont jusqu’à ce jour « géré » le pays avec l’efficacité que l’on sait, et qui prétendent désormais imposer aux populations une purge radicale en pénitence de leurs propres errements. Ce n’est pas non plus un hasard si des factions autrefois marginales ont acquis une audience spectaculaire, en défendant des positions « extrémistes » (c’est-à-dire politiquement incorrectes), comme le refus d’amortir les dettes anciennes, au motif avéré que l’exercice s’apparente au remplissage du tonneau des Danaïdes. S’asseoir sur la dette : voilà longtemps qu’une telle hypothèse a été évoquée dans ces colonnes, et l’on s’étonne qu’elle ait autant tardé à cheminer dans l’esprit du public hellénique…

La fin des illusions

D’une façon générale, la perspective du défaut « volontaire » de la Grèce est évacuée d’un revers de main, sur la base de raisonnements qui empruntent moins au réalisme économique qu’à la méthode Coué. Pour les uns, l’Europe ne peut se permettre d’abandonner Athènes, à cause du précédent désastreux que constituerait ce lâchage et de la méchante hypothèque qui serait ainsi prise sur la cohésion de l’Union et la survie de l’euro – ce que l’on admet volontiers. Cette rhétorique plan-plan fait toutefois l’impasse sur le corollaire d’un tel choix : ce qu’il en coûte à la Communauté de suivre pas à pas les déboires grecs, et le précédent que constitue le soutien indéfectible à un comateux. Que le peuple grec accepte ou non la perspective d’une austérité durable, les finances du pays ne se redresseront pas avant l’avènement du royaume de Zeus : il en résulte que les créanciers sont certains d’être exposés à de nouveaux embarras (plus graves que les précédents). Par symétrie, les Grecs sont emprisonnés dans un processus débilitant : pour mériter d’être considérés comme des gens bien élevés, ils doivent accepter de se faire tondre et d’abandonner à perpétuité la moindre parcelle de souveraineté. S’ils répudiaient leurs dettes et leur appartenance à l’Union, ils deviendraient des va-nu-pieds patentés, obligés d’assumer leur triste condition. Mais ils ne seraient pas tenus de servir de paillasson aux autres membres de la Communauté. Considérée d’un œil objectif, cette hypothèse est probablement la moins mauvaise pour permettre à Athènes de conduire, dans la douleur, certes, mais avec des chances raisonnables de succès, les efforts nécessaires pour sortir le pays de sa condition de cousin sous-développé adopté par une famille de nababs.

Dans un tel contexte, pourquoi l’Union a-t-elle jusqu’à ce jour refusé de répudier purement et simplement le cousin convaincu d’avoir trafiqué ses comptes, d’avoir tapé dans la caisse commune et de vouloir poursuivre sur la même voie ? Les arguments servis à l’origine étaient probablement sincères : le PIB grec représente peanuts par rapport à celui de l’Union. En conséquence, pas la peine d’en faire un fromage : on paiera ce qu’il faut et on leur piquera l’Acropole, si nécessaire. L’ennui, c’est que l’addition s’est révélée plus salée que prévu, et les pertes continuent de s’accumuler. L’ennui, c’est que les banques européennes sont à ce point engagées sur le dossier grec, entre autres emprunteurs sulfureux, que tout soupçon de défaillance serait un regrettable pétard systémique. L’ennui, c’est que le système financier tout entier est gangréné et que les autorités ont choisi d’occulter cette réalité – en croisant les doigts pour qu’un miracle vienne en rétablir la solvabilité. A ce jour, la question n’est pas de savoir si la Grèce fera défaut, délibérément ou sous la contrainte. C’est seulement de savoir quand le couvercle sautera, sous la pression de l’électorat autochtone, des orthodoxes allemands (très remontés contre l’inconséquence hellénique) ou de n’importe quel événement, sans rapport direct avec la chienlit politique athénienne, qui mettra le feu aux poudres et soufflera d’un coup les illusions qui prévalent encore sur les marchés. Ces derniers se montrent hésitants, en dépit des rodomontades teutonnes selon lesquelles l’Eurozone peut se passer de la Grèce. Ce n’est pas l’avenir des Grecs qui préoccupe les financiers – leur sort est déjà scellé. Mais la façon dont ils passeront à la trappe va conditionner l’ampleur des dommages collatéraux…

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