Et maintenant ?

Et maintenant ?

Une campagne poisseuse a finalement accouché d’un nouveau Président. Qui a prudemment défendu un programme assez flou pour être « rassembleur ». Mais les observateurs ne s’y sont pas trompés : l’objectif prioritaire, c’est la compétitivité du pays. Avec en ligne de mire la « réforme structurelle » du contrat de travail.

Pétillon, dans le Canard Enchaîné, avait assez bien résumé la situation : « La finance attend les résultats », titrait son dessin, mettant en scène deux traders. « Si c’est Hollande, on attaque », annonce l’un deux. « Et si c’est Sarkozy ? », demande l’autre. « Pareil », répond le premier, manifestement tout excité. On spécule d’abord, on essaie de comprendre pourquoi ensuite : telle est la transposition, au monde de la finance, de l’observation de Goethe selon laquelle « au commencement était l’action ». Mais c’est aussi la transcription rigoureuse du sentiment dominant des analystes, tel qu’il a été exprimé par Nicolas Choisy, économiste en chef chez Cheuvreux (broker du groupe Crédit Agricole), dans une note destinée aux investisseurs professionnels. Laquelle a fait l’objet d’une interview diffusée par le journal alternatif Fakir, qui a suscité un buzz intense sur le Net. Pas vraiment à cause de la rigueur du raisonnement de Choisy, mais pour le cynisme supposé de propos qui « ne s’embarrassent pas de finasseries », selon ses propres termes. L’économiste y expose crûment ce constat : lorsque les attentes de l’électorat et celles des marchés sont contradictoires, c’est nécessairement l’électorat qui sera déçu. Il semble que le public « non investisseur », auquel ces propos n’étaient pas destinés, ait appréhendé le discours de façon passionnelle et trouvé choquantes ses conclusions : à savoir que le président-Hollande serait conduit à apostasier l’esprit du programme du candidat-Hollande, la seule véritable interrogation étant de savoir combien de temps s’écoulera avant le reniement. Et s’il tentera ou non un baroud d’honneur avant de céder.

Le pilier du raisonnement de Choisy : les attentes « des marchés » sont incontournables. Et parmi elles, la « réforme structurelle » la plus attendue, celle qui alignerait notre pays sur les nations modernes : la fin du contrat de travail à durée indéterminée (CDI), une particularité qui constitue un obstacle de taille au modèle dominant de gestion des entreprises, dans lequel le travail constitue désormais la principale variable d’ajustement. Le CDI serait ainsi la dernière des « rigidités » héritée de notre vieux modèle social, que par une ironie déjà expérimentée au début des années 1980, un gouvernement progressiste serait chargé d’éradiquer.

Une obsession : la compétitivité

De fait, la note de synthèse de Nicolas Choisy résume parfaitement l’alpha et l’oméga des préoccupations communes à l’administration et aux milieux d’affaires français : notre compétitivité est devenue insuffisante par rapport à celle des grands Etats européens – notamment l’Allemagne. Deux seules options stratégiques sont ainsi disponibles pour combler ce handicap, dans l’esprit de l’économisme ambiant. La première relève de l’artifice monétaire classique : la dévaluation, qui permet d’abaisser le prix des produits et services autochtones et de retrouver des marges de manœuvre à l’exportation, sous contrainte, bien entendu, d’un renchérissement des biens importés. Mais pour cela, il faut disposer de la souveraineté monétaire, ce qui n’est plus le cas d’aucun des membres de l’Eurozone. L’Union ayant, jusqu’à ce jour, refusé à la Grèce cette option de sortie, on se doute qu’elle ne saurait l’accorder à un pays de l’importance de la France. Ce serait l’agonie de la grande machinerie communautaire, dont il n’est pas douteux qu’elle a été édifiée à des fins principalement mercantiles, mais dont le principe a désormais été sacralisé : pas question de le remettre en cause, sauf à être taxé de « populisme ». Du reste, le candidat-Hollande a suffisamment proclamé son attachement à l’Union pour que cette hypothèse continue d’être totalement exclue.

Il ne reste donc que la deuxième voie pour retrouver les éléments de compétitivité : la réduction des coûts. Et notamment des coûts salariaux. Cette voie a été explorée, avec les succès que l’on connaît, dans pas mal de pays comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et, bien entendu, la Grèce. Dans ce dernier pays, les salaires ont été en moyenne réduits de 25%, pendant que les prélèvements augmentaient afin de colmater les brèches budgétaires. L’option de l’ajustement par la baisse des salaires semble faire consensus au sein de tous les gouvernements, quelle que soit la couleur politique revendiquée. Cette même option fait toutefois consensus, contre elle, au sein des populations concernées. En témoigne la chienlit politique grecque : les dernières élections ont laminé les partis récemment majoritaires et fait se multiplier les factions protestataires. « Les marchés » n’ont guère apprécié une telle évolution, qui semble conférer une certaine autonomie protestataire aux populations elles-mêmes.

On comprend que les autorités tentent de reprendre la main en plaidant, comme notre nouveau Président, pour un « pacte de croissance » supposé gommer les effets destructeurs de l’austérité budgétaire. Mais sans vouloir les décourager, il est peu probable qu’une telle illusion puisse s’imposer. On en revient ainsi à ce constat, établi depuis longtemps dans ces colonnes : la représentation politique est prisonnière de schémas obsolètes et de sujétions absurdes à l’égard de l’ordre économique. Elle en est donc réduite à des faux-semblants qui continuent de nourrir quelques flammes militantes, mais qui bientôt ne tromperont plus personne. Nous devons observer avec attention la situation grecque : ce pourrait être demain notre modèle.

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