Europe : la dette en (...)

Europe : la dette en soins intensifs

Les gouvernements n’ont qu’à se débrouiller avec la crise : tel est le diagnostic de la BCE, qui n’achètera plus d’emprunts souverains ni n’abusera de « mesures non conventionnelles ». Enfin, jusqu’à nouvel ordre. En attendant, Bruxelles avance sur le projet d’union bancaire. Laquelle pourrait voir le jour juste après les calendes grecques.

Il y a des moments où l’on aimerait être une petite souris, afin de pouvoir siéger en toute discrétion au Conseil de la politique monétaire de la BCE. Tout particulièrement ces derniers temps, où l’horizon bancaire européen ne cesse de se charger de nuages. Voilà peu, on apprenait officiellement la situation précaire des établissements de crédit espagnols : certes, ce n’était pas une surprise. Mais cette confirmation chiffrée a constitué une indication sur l’étendue probable des dégâts : quand les besoins de capitalisation avoués s’établissent à 30 milliards d’euros, par exemple, il est raisonnable d’étalonner les besoins réels à trois fois plus, ne serait-ce que pour provisionner la lenteur du processus de réponse, qui aggrave mécaniquement l’hémorragie des établissements blessés. Les historiens de l’économie se souviendront longtemps de l’exemple de référence, le dossier grec : évaluée à une poignée de milliards à l’origine, la plaie d’argent des Grecs a dégénéré pour atteindre des proportions inguérissables. A imputer, pour une large part, à la nonchalance coupable des soigneurs.

Après sa réunion de début juin, le Conseil de la politique monétaire a annoncé la couleur : que les gouvernements se débrouillent avec la gestion de la crise. Car « certains des problèmes de la zone euro n’ont rien à voir avec la politique monétaire », a déclaré Mario Draghi, qui n’a pas hésité à enfoncer le clou : « Je ne pense pas que ce soit une bonne chose que la politique monétaire compense l’inaction d’autres institutions ». Replacée dans son contexte, la saillie du président de la BCE n’introduit pas vraiment de doute sur l’identité des « autres institutions » : il s’agit des gouvernements, suspects de traîner les pieds face à l’épreuve de l’orthodoxie budgétaire, par crainte de se mettre à dos leurs populations. La BCE, comme la Commission européenne et ses relais d’opinion, laissent accroire qu’il n’y a pas de réponse efficace à la crise sans davantage d’intégration. C’est-à-dire que pour garantir son salut, l’Union devrait adopter le profil fédéraliste, ce que les peuples ont jusqu’à ce jour refusé. Une telle option permettrait en effet de déléguer la gouvernance effective aux technocrates de la Commission, lesquels sont nés avec une calculette dans le coeur et un mépris hautain de questions aussi triviales que la souveraineté nationale et, accessoirement, les principes démocratiques élémentaires. Mais on veut bien convenir avec eux que pour imposer la purge à tous les membres de l’Eurozone, afin de pouvoir honorer le remboursement de dettes nationales excessives, mieux vaut des décideurs à l’abri de la vindicte populaire, derrière un appareil policier suffisamment musclé pour contenir les probables débordements. Sauf à imposer la manière forte, en s’asseyant au besoin sur les bons usages démocratiques, il est improbable que la transformation de l’Europe en holding, sous le management académique de la Commission, puisse apporter une réponse miraculeuse à des problèmes autrement insolubles.

Union bancaire et vœux pieux

Tout semble indiquer toutefois que les autorités, politiques et monétaires, ont renoncé à l’espoir raisonnable d’éviter le pire. En abandonnant toute responsabilité aux gouvernements eux-mêmes, la BCE ne laisse à ces derniers que l’espérance du retour bienfaisant de la croissance. Pas de chance, car au même moment étaient publiées les statistiques du trimestre écoulé : la stagnation, après une baisse du PIB de 0,3% au trimestre précédent. Mais dès lors que le chiffre n’est pas négatif, l’Europe n’est pas formellement en récession : la rhétorique vient au secours de la méthode Coué. Les Bourses ont d’ailleurs fait montre d’un comportement surprenant : alors qu’elles attendaient de la BCE de nouvelles mesures « non conventionnelles » ou une baisse des taux directeurs, qui n’ont pas eu lieu, les cours se sont quand même envolés. Pourquoi ? Parce que l’Institut d’émission a garanti, au moins jusqu’au début de l’année prochaine, de satisfaire à livre ouvert toutes les opérations de refinancement des banques commerciales. Il y aura donc de la liquidité pour chauffer les marchés, faute de contribuer à la hausse de l’activité. Car même Draghi l’admet : rien ne prouve que les 1 000 milliards accordés aux banques aient servi à l’économie réelle…

Que penser dans ces conditions de l’initiative relayée par le commissaire aux Services financiers, le Français Michel Barnier, visant à « casser le lien entre les crises bancaires et les finances publiques » ? Le projet s’inscrit dans la perspective déjà abordée de « l’union bancaire » avec un mécanisme commun de garantie des dépôts (qui fait déjà horreur à l’Allemagne). Les autorités compétentes auraient la main, en cas de difficultés d’une banque, pour opérer son haut de bilan en annulant ou diluant les actions, en réduisant les créances ou en les transformant en actions. Une pratique joliment baptisée « bail-in », pour signifier une recapitalisation de l’intérieur, par opposition au bail-out, dans lequel l’Etat vient à la rescousse avec l’argent du contribuable. Voilà une proposition conforme à la fois à la morale et au bon sens. Pour financer le système, les banques seraient tenues d’alimenter un fonds de garantie qui devra contenir… 1% des dépôts à l’échéance de… dix ans ! Le tout devant permettre une mise en route du dispositif dès… 2018. Si tôt ? On ne voudrait pas se montrer désobligeant, Monsieur le Commissaire. Mais sur la base du fonctionnement actuel, il ne devrait pas rester beaucoup de banques debout en 2018.

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