Europe : le dogme sans

Europe : le dogme sans la foi

Les élèves de la classe européenne suivent avec constance et obstination leur programme illusoire : marier la rigueur et la croissance. Leur dernier sommet a donc provoqué un aimable chahut, sous l’œil inquisitorial de la Commission et de la BCE, gardiens du dogme de l’économie franciscaine : le salut par l’austérité.

Qu’est-ce qu’un « bon élève européen » ? Une réponse consensuelle est sans doute beaucoup plus difficile à formuler que l’élection d’un Pape. En se prévalant de cette qualité pour la France, notre Président veut sans doute témoigner de la volonté de bien faire de son gouvernement. Ou à tout le moins de son engagement à faire du mieux qu’il peut. Nul ne saurait mettre en doute la pureté de ses intentions, mais la classe européenne présente une topologie surprenante : au premier rang, l’Allemagne, forte en thème et prompte à donner des leçons à tout le monde, même à ses professeurs. Et derrière, tous les autres cherchant à occuper la place la plus proche du radiateur. La pédagogie moderne répugne à regrouper les élèves dont le niveau est par trop éloigné : les faibles se découragent et les forts sont freinés dans leur élan. Rien de tel en matière économique : la Communauté européenne doit respecter le même dogme, comme celle des Chrétiens obéit aux mêmes Evangiles. Il en résulte que la classe des 27 est constamment soumise à la tentation du chahut, heureusement tempérée par la crainte de se faire virer de l’établissement.

Telle était l’ambiance qui a prévalu lors du récent sommet européen consacré aux moyens de relancer la croissance, cet objectif incantatoire qui hante tous les gouvernements, européens et autres, depuis que la crise financière a mis un terme aux illusions antérieures, et provoqué une crise économique qui n’en finit pas de s’éterniser. Le consensus est pourtant bien affirmé en termes de gestion publique : tous confirment leur foi en la nécessité de ramener les déficits à des proportions maastrichtiennes. En dépit des milliers de manifestants qui, au même moment, protestaient contre l’austérité devant le bâtiment du Conseil européen. Tous sont d’accord, mais chacun des plus décavés aimerait disposer du temps approprié pour justifier d’une note de « bon élève » en matière de comptes publics. En particulier la France, qui a déjà dû renoncer à son objectif initial d’atteindre les 3% à la fin de cette année, et qui pourrait bien se retrouver très en dehors des clous à la fin de l’année prochaine.

Variations sur la « ri-lance »

On en revient toujours au même constat basique, sans cesse ressassé dans ces colonnes : quand il est excessif, l’endettement doit être réduit, c’est incontestable. Il n’y a que deux approches connues, si l’on exclut l’intervention de la Providence : l’austérité budgétaire (réduction des dépenses et augmentation des impôts) ou, si cette voie est illusoire, le défaut sur la dette excédentaire. Cette dernière option ayant été bannie, à l’exception du vrai-faux défaut, très partiel et inopérant, sur la dette grecque, il ne reste plus à espérer que l’ascèse budgétaire vienne à bout des dettes souveraines surnuméraires. A une échéance difficile à déterminer, mais d’autant plus lointaine que l’ambition initiale est déraisonnable : pour nombre d’Etats, le stock de dette accumulée est tel que son amortissement est devenu mécaniquement impossible. Le problème est donc que pendant cette phase d’austérité, l’activité se réduit parallèlement au manque de carburant financier, et plus que proportionnellement à ce dernier. D’où une baisse non souhaitée des rentrées fiscales, et de là une remontée inopportune des déficits d’exécution. Entraînant de nouvelles mesures d’austérité et le cycle dépressif s’aggrave, jusqu’à ce que le risque de déstabilisation sociale devienne une certitude. Au final, le défaut finit par s’imposer, après que la population tout entière a été laminée. On ne fera pas l’injure aux autorités européennes de méconnaître le déroulement de ce scénario. Mais il leur sera beaucoup reproché d’avoir nié son évidence, en ayant adhéré à la célèbre thèse de la « ri-lance » lagardienne, consistant à jeter un peu de grain dans le poulailler dans l’espoir de recueillir des œufs, après avoir sacrifié les poules à la marmite.

Lors de ce dernier sommet, les dirigeants ont donc remis sur le tapis les idées de relance qu’ils avaient semées en juin dernier, notamment les « project bonds » - ressources destinées à financer des projets d’infrastructures. Mais la Commission aurait lambiné pour en établir le règlement, elle-même accusant les Etats-membres d’avoir freiné le processus. Bref, le dossier a été purement et simplement glissé sous la pile, en attendant que les uns et les autres l’aient oublié. Ce qui témoigne au moins d’un brin de lucidité : personne ne croit à la moindre efficacité de ces micro-initiatives. L’obsession commune est de trouver la bonne méthode pour contourner la rigueur sans être accusé de tricher. Ainsi la France et l’Italie ont-elles obtenu que le communiqué final intègre la nécessité d’une « consolidation budgétaire différenciée et qui soit orientée vers la croissance ». Ce qui ne veut rien dire, convenons-en, mais laisse ouverte la porte à toutes les arguties, le moment venu. Une précaution bien utile au vu de l’intervention de la BCE, préalablement au sommet. Dans son bulletin mensuel paru la veille, la Banque enfonçait le clou : « différer l’ajustement budgétaire compromettra les perspectives de croissance », notait-elle, avec toute la subtilité dogmatique de feue l’Inquisition. En conséquence, on ne s’étonnera pas si la cote d’amour de la Commission et de la BCE atteint des profondeurs abyssales au sein de l’opinion européenne. Car l’une et l’autre réussissent une performance inégalée sur l’échelle Richter du cynisme et de l’arrogance.

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