Évasion fiscale : le (...)

Évasion fiscale : le poison de la démocratie !

Les récentes révélations sur le système d’évasion fiscale mis en place par la filiale suisse de la banque HSBC, rappellent l’importance de cette question tant pour les finances publiques que pour la démocratie.

Le scandale des fonds cachés en Suisse, baptisé SwissLeaks, fait suite à celui des accords fiscaux secrets au Luxembourg (LuxLeaks), qui marqua l’année 2014, et aux révélations sur les créations de sociétés offshore dans les paradis fiscaux (Offshore Leaks), en 2013. A chaque fois, les montants en jeu sont colossaux et interrogent les fondements de notre société
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Un phénomène difficile à appréhender

L’évasion fiscale désigne tous les moyens employés pour éviter de payer l’impôt dans un pays donné. Mais selon les juridictions, certains montages seront légaux et donc qualifiés d’optimisation fiscale, tandis que d’autres seront illégaux et tomberont sous le coup de la fraude fiscale. On voit donc poindre la notion de paradis fiscal, elle aussi très floue, puisque Jersey n’est, par exemple, plus considérée comme une juridiction non coopérative par la France…

De plus, l’hétérogénéité des systèmes fiscaux au sein de la zone euro, alors même que celle-ci fut construite dans une optique de convergence des économies, conduit à une concurrence fiscale déchaînée. Qu’il suffise de rappeler que l’Irlande est le paradis des multinationales, avec un taux d’impôt sur les sociétés officiellement à 12,5 % (contre 40 % aux États-Unis et jusqu’à 38 % en France, en 2014), mais que des montages astucieux permettent de ramener à la portion congrue, faisant dès lors la fortune des Apple, Google et autres sociétés de l’ère numérique !

Un manque à gagner pour les finances publiques

Comme les frontières de l’évasion fiscale sont difficiles à définir, il n’est donc pas étonnant que la mesure du phénomène le soit tout autant. Néanmoins, des études sont menées, comme le rapport rendu en 2013 par les députés Nicolas Dupont-Aignan et Alain Bocquet. Intitulé « Lutte contre les paradis fiscaux : si l’on passait des paroles aux actes », le manque à gagner pour les finances publiques françaises y est estimé entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année !
Par ailleurs, une étude menée par l’économiste Gabriel Zuckman conclut qu’environ 8 % du patrimoine financier des ménages dans le monde sont détenus dans des paradis fiscaux, c’est-à-dire près de 6 000 milliards de dollars en 2008 ! D’autres sources évoquent plutôt 17 000 milliards d’euros, voire 26 000 milliards !

Un poison pour la démocratie

Mais au-delà des pertes fiscales, c’est la souveraineté même des États qui est attaquée au travers d’une remise en cause de la légitimité de l’impôt. Celle-ci débouche alors sur un affaiblissement généralisé du consentement à l’impôt des ménages et des entreprises, qui pousse les États dans une compétition fiscale mortifère, au moment où la dégradation économique exigerait que la puissance publique soutienne la demande intérieure. Or, lorsqu’une minorité de la population ou des entreprises, qui se croit hors d’atteinte, s’affranchit de sa contribution au pot commun, c’est tout le pays qui vacille.

L’OCDE passe à l’attaque

La dégradation des finances publiques depuis le début de la crise a conduit les États à se saisir à bras le corps de la question de l’évasion fiscale. Parmi les mesures phares, on peut citer l’engagement de mettre en place un échange automatique (multilatéral) d’informations fiscales sous l’égide de l’OCDE – alors que, jusqu’à présent, il fallait l’ouverture préalable d’une enquête de l’administration ou de la justice –, et l’obligation pour les multinationales de tenir une comptabilité pays par pays, précisant le chiffre d’affaires, le montant des impôts payés et l’effectif salarial.

L’arme ultime des États-Unis

De leur côté, les États-Unis ont voté la loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) qui a eu raison du secret bancaire suisse. En effet, cette loi impose aux institutions financières du monde entier de transmettre à l’administration fiscale américaine toutes les informations dont elles disposent sur leurs clients assujettis au fisc américain, sous peine de sanctions très importantes pouvant aller jusqu’au retrait de la licence bancaire.

Les États-Unis ont donc montré la voie à l’Europe : pour lutter contre l’évasion fiscale, il est certes indispensable de mettre en place un arsenal juridique adapté aux réalités de la libre-circulation des capitaux au XXIe siècle, mais il est encore plus important d’appliquer des sanctions dissuasives ! En effet, comment peut-on espérer juguler l’hémorragie que constitue l’évasion fiscale, lorsqu’on sait qu’en France le règlement à l’amiable est la norme et que les peines de prison sont extrêmement rares ?

Par Raphaël Didier

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