Fiscal : l'audace à (...)

Fiscal : l’audace à la niche ?

La configuration de la prochaine Assemblée délimitera le périmètre du pouvoir réformateur du nouveau Président. A ce stade, l’incertitude demeure quant aux ambitions réelles de ce quinquennat. Mais le contexte de l’alternance ouvre une large fenêtre d’opportunité pour une remise à niveau rapide et performante de la fiscalité.

Les questions relatives à la fiscalité relèvent de préoccupations planétaires. On le comprend d’autant plus aisément que les comptes publics souffrent partout du même mal : un déficit d’exécution « structurel », qui accroît mécaniquement l’endettement du pays et renforce les difficultés d’un retour à l’équilibre. Que la responsabilité de la situation présente soit imputable aux gestionnaires publics, ou plutôt aux prêteurs de deniers qui les ont rendus accros aux emprunts, peu nous importe aujourd’hui. Le fait est que le scénario était écrit depuis de nombreuses années, et certains observateurs ont alors tiré la sonnette d’alarme : les statistiques démontraient que l’Histoire s’apprêtait à repasser les plats, contrairement aux allégations de Céline. L’Histoire repasse également les plats quant à la défaillance des autorités dans leur réponse à la crise. Certes, les erreurs ne sont pas les mêmes que lors des années 30 : tout le monde a compris désormais le rôle de la liquidité dans les phases de forte contraction de l’activité. Mais tous se sont comportés, et continuent de le faire, comme si l’on pouvait s’asseoir sur la question de la solvabilité. Et négliger de prendre en compte la masse considérable des créances qui ne peuvent et ne pourront jamais être remboursées, sauf à réduire à l’esclavage des populations entières pendant une éternité.

Plusieurs années d’atermoiements ont permis de différer la mise en ordre comptable qu’il faudra bien se résoudre à opérer un jour ou l’autre, probablement sous la contrainte des faits. Et constater dans la foulée que nous sommes, individuellement et collectivement, beaucoup moins riches qu’on ne le croyait. En attendant de faire ce constat douloureux, tous les gouvernements sont obligés de revenir sur la bienveillance de leurs prédécesseurs à l’égard des contribuables. Afin de tenter de rétablir un niveau de prélèvements compatible avec l’objectif annoncé de réduire, puis d’annuler le déficit budgétaire. On se doute que l’exercice est beaucoup plus délicat qu’il n’y paraît : dans notre pays, cela fait quarante ans que le budget de l’Etat est systématiquement déficitaire, même lors des phases de croissance soutenue, ce qui rend l’exercice improbable dans les périodes, comme celle que nous vivons actuellement, marquées par une récession larvée.

L’obsession fiscale

Si le contenu du programme est demeuré flou, les engagements de campagne du nouveau Président ont été clairs : retour à la limite maastrichtienne de 3% du PIB dès l’année prochaine et équilibre du budget pour la dernière année du mandat. Par quels moyens ? Un peu tôt pour se prononcer : il faudra attendre la composition de la nouvelle Assemblée nationale pour fixer le périmètre de la majorité. En supposant que cette dernière soit acquise au Président, ce que les résultats du 1er tour semblent augurer, les pistes ébauchées pour l’accroissement des recettes sont un alourdissement de l’imposition des hauts revenus et un dynamitage des niches fiscales qui rognent les recettes, notamment celles attendues des entreprises. Si l’on en croit les différents rapports qui ont illustré ce sujet sensible, la pertinence des niches serait, dans l’ensemble, peu convaincante. Et si l’on ajoute leur coût budgétaire à l’estimation de la fraude, on obtient un montant qui représente environ deux fois la valeur absolue du déficit attendu sur l’exercice en cours. Autant dire que sur le principe – ou sur le papier, si l’on préfère – il est raisonnablement aisé d’équilibrer le budget sans attendre la saint-glinglin, en profitant du choc de l’alternance. Et sans être obligé de mettre en avant des mesures qui impressionnent le manant, comme la quasi-confiscation des revenus très élevés, le genre de dispositif que l’on sait par avance voué à tourner en eau de boudin. Car on peut faire confiance à l’ingénierie juridique et fiscale pour imaginer des pare-feu qui ridiculiseront cette mesure assassine, sans obliger les contribuables concernés à loger leur famille dans un chalet suisse (en supposant qu’ils soient accueillis par les Helvètes, ce qui devient désormais hypothétique). Mais il est vrai que remettre en cause les niches, c’est s’aliéner l’affection du microcosme concerné par chacune d’entre elles. Si bien qu’au global, le nombre de mécontents potentiels excède nettement celui des Français dotés d’un revenu supérieur au million d’euros. Pour remettre les pendules à l’heure, il suffit donc d’un peu d’audace politique.

Quant aux entreprises, la position des dirigeants politiques devrait, chez nous comme ailleurs, être pragmatique : les multinationales sont (logiquement) obsédées par l’optimisation. Sur le terrain de l’imposition, la réglementation actuelle, qui épargne le nomadisme paradisiaque fictif, leur est incroyablement favorable et la puissance de leur lobbying maintient leur avantage. Là aussi, il suffirait qu’un nombre suffisant de dirigeants prennent les choses en mains pour contrarier efficacement l’évasion fiscale légale, plutôt que de mouiller leurs braies quand le CEO d’une grande firme élève le ton. Cela permettrait une approche différenciée des PME et TPE nationales, qui en ce moment, par le biais des syndicats patronaux ou des lobbyistes patentés, font le siège des politiques pour faire valoir la spécificité de leur cas, le bien-fondé des dérogations dont elles bénéficient ou de celles qu’elles souhaiteraient obtenir. Cela permettrait d’avancer dans le débat dont on ne fera pas l’économie, à plus ou moins brève échéance : quel sera le rôle de l’entreprise dans la société de demain, dont il faut dès maintenant imaginer une nouvelle configuration ?

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