G 20 de Cannes : le (...)

G 20 de Cannes : le festival du stress

Pas facile d’organiser une grande réception s’il faut aussi s’occuper des cuisines, recevoir les fournisseurs et vider les cendriers. Avec l’espièglerie grecque, la désinvolture italienne et une météo capricieuse, le service du dernier sommet sous présidence française a été complètement chamboulé. Stressant.

« Le courage consiste à donner raison aux choses quand nous ne pouvons les changer ». La sentence est de Marguerite Yourcenar, sous la plume d’Alexis dans Le Traité du Vain Combat. Il est sans doute un peu vulgaire de convoquer le raffinement de feue notre académicienne au chevet du G20, ce haut-lieu de la tambouille épicière des choses du monde, où se confrontent des passions égoïstes plus que des réflexions métaphysiques. Mais c’est le « vain combat » qui appelle le rapprochement. Le sommet cannois a donné lieu à une débauche d’énergie combative, celle qui dans la conception actuelle du pouvoir est censée témoigner du courage de ceux qui l’exercent. La valeur des dirigeants se mesure désormais à leur aptitude à « mouiller le maillot ». Le marathon est devenu le mètre-étalon de la gouvernance ; une métaphore des épreuves collectives, dans laquelle le champion national endure son quantum de souffrances pour le salut de ses ouailles. Une transposition laïque de la passion du Christ.

Le menu de Cannes était principalement agencé autour d’une préoccupation lancinante : relancer la croissance mondiale, laquelle s’étiole partout, même dans les nations émergentes, sur le dynamisme desquelles les pays anciennement riches comptaient beaucoup pour faire la soudure. Tous les autres thèmes prévus au programme n’étaient que des accessoires techniques à cet objectif : qu’il s’agisse de la santé des banques pour favoriser la transfusion du crédit à l’économie ; de la prévention des réflexes protectionnistes, qui sont un frein avéré et redouté à l’expansion du commerce ; de la réglementation contre la fiscalité paradisiaque, en ces temps douloureux pour les budgets publics, et contre le shadow banking, ce royaume des ombres financières qui nourrit en secret le risque systémique. Autant de sujets d’inquiétude, à n’en pas douter. Mais qui reviennent à discourir des modalités de l’entraînement d’un paralytique avant le marathon. Un vain combat. La seule équation qui importe vraiment demeure irrésolue : comment faire disparaître les dettes surnuméraires qui ne peuvent être amorties, ni aujourd’hui, ni demain, ni au Jugement dernier. C’est finalement le thème qui s’est imposé, par la bande, aux participants du Sommet. Les faits sont têtus, mais les grands de ce monde ne sont pas encore disposés à leur donner raison, en dépit de l’évidence qu’ils ne peuvent les changer.

D’honorables intentions

Le psychodrame grec a ainsi refait surface, après le sommet préparatoire qui en avait logiquement arrêté le scénario, au terme de tractations ayant exigé l’endurance olympique des négociateurs. Seulement voilà : comme on l’a déjà relevé dans ces colonnes, ce énième « plan de sauvetage » d’Athènes est tout simplement illusoire. La seule certitude que peuvent nourrir les Grecs, c’est l’assurance d’être exposés à une très longue période de larmes et de privations. Sans pour autant échapper à l’infamie du défaut, aussi prévisible que l’issue d’une tragédie d’Euripide, ni à l’administration ad hoc par la « troïka », dans l’attente que le pays atteigne l’âge d’une improbable majorité gestionnaire. De ce fait, la suggestion de Papandréou ne manquait ni d’audace ni de panache : soumettre au verdict des Grecs le choix de leur avenir. Renoncer au « plan d’aide », c’était à n’en pas douter s’exclure de la famille européenne. Un reniement qui n’eût pas garanti la prospérité hellénique, convenons-en ; mais faute de pouvoir échapper à la pauvreté, les Grecs auraient au moins préservé leur dignité. Et rappelé au monde entier qu’ils sont le berceau des valeurs démocratiques, en ce comprise l’irréfragable souveraineté populaire… Le Conseil de famille a finalement eu raison des velléités vertueuses de l’enfant prodigue, dont la faillite volontaire eût signé la mise en liquidation de la fratrie communautaire. En attendant que l’Italie, mise sous tutelle du FMI, ne soit assassinée par une spéculation insensible aux charmes du Cavaliere, la Grèce s’oriente la tête basse vers un gouvernement d’« union nationale », une option qui achèvera de dégoûter les autochtones de leur représentation politique. On observera avec attention l’évolution du dossier : c’est un schéma que bien d’autres contrées européennes pourraient être tentées d’adopter, quand le froid polaire viendra les taquiner.

Qu’a donc décidé le G20 pour faire face à la situation ? Le communiqué final est pétri de bonnes intentions. Mais le consensus se résume à ceci : que chacun balaie devant sa porte et on verra après. Tous conviennent que les embarras européens sont une méchante épine dans le pied de l’économie mondiale. Tous conviennent qu’il faut sécuriser nos banques et blinder les signatures souveraines. Il faut pour cela de l’argent. Beaucoup d’argent et même davantage. Où le trouver ? Les Etats-Unis ont avoué ne pouvoir offrir que leur sympathie. La Chine se dit trop bien élevée pour interférer dans les affaires communautaires. Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) s’étranglent devant l’impudence des « riches » à vouloir se faire subventionner par les « pauvres ». Et les Européens ? Les seuls qui auraient les poches assez larges pour faire un geste répugnent au mécénat. En particulier, Angela Merkel a refusé l’aimable suggestion de mettre l’or de la Bundesbank en pension. Si bien que le Fonds de solidarité et ses annexes, supposés renflouer les uns et les autres, demeurent aussi raides qu’un passe-lacet. Moralité : les bonnes intentions ne rapportent pas un picaillon.

© Présidence de la République - C. Alix

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