G7 à l'anglaise

G7 à l’anglaise

La dernière réunion du G7 finances a constitué une mise en jambes avant les grands raouts à venir. Avec pour thème consensuel la quête obsessionnelle de croissance, et pour sujet de discorde la pertinence des politiques d’austérité. Une ambition commune monte en puissance : la lutte contre les paradis fiscaux.

Aylesbury. Tel est le nom de la charmante ville du Buckinghamshire qu’avait choisie le Premier ministre Cameron pour accueillir le dernier G7, le 11 mai. Une charmante cité typique de la province anglaise, mais quasiment ignorée du monde entier. Sauf des nostalgiques de l’oreiller à plumes et aussi des gastronomes avertis : le canard d’Aylesbury fut longtemps un gros pourvoyeur de l’industrie du traversin, ainsi que le joyau des tables raffinées. Avant que son homologue de Pékin, réputé plus rustique bien que moins savoureux, ne vienne supplanter le canard blanc d’Aylesbury – désormais plus rare que les bonnes manières dans l’aristocratie british. Autant dire que la symbolique du lieu donnait déjà la tonalité du sommet : sur la tête des ministres des Finances des Sept planait le fantôme d’une espèce disparue pour avoir été trop plumée. Toute analogie avec le contribuable n’est évidemment pas fortuite : l’obsession récurrente de tous les « grands argentiers » de la planète, c’est de disposer des ressources appropriées pour boucler honorablement leur budget. Ce qui suppose des rentrées fiscales dopées à la croissance et à la discipline des redevables de l’impôt : les deux thèmes qui ont fait l’essentiel des échanges de ce G7, charitablement négligé par les médias. Les rencontres du G20 étant désormais considérées comme des événements mineurs, eu égard aux effets homéopathiques qui en résultent, il ne faut guère s’étonner si la réunion des anciennes gloires (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Italie et Japon), en passe de devenir les has been de l’économie mondiale, ne suscite qu’un intérêt poli des commentateurs. Mais s’ils ne peuvent plus faire la pluie et le beau temps, les ex-grands disposent toujours d’arguments solides sur la scène internationale. Si bien que l’esprit de leurs intentions communes – ou de leurs dissensions – éclaire les grands thèmes qui seront au centre des prochains grands raouts mondiaux.

Croissance et paradis

La croissance, d’abord. Nul doute que le consensus soit établi quant à l’intérêt de favoriser son retour. Mais il est plus difficile de s’accorder sur les moyens à mobiliser par les gouvernements pour y parvenir. Le premier – le levier budgétaire – souffre de l’obligation concurrente d’assainir les finances publiques. Encore que le principe de l’austérité, jugé incontournable jusqu’à une date récente, ait été récemment amendé. La France a ainsi bénéficié, de la part de la Commission, d’une remise de peine l’autorisant à différer de deux ans son retour à un déficit conforme aux normes maastrichtiennes. Il ne s’agit pas pour autant d’abandonner les efforts de consolidation budgétaire, mais de tenter de les rendre compatibles avec le soutien de l’activité. Le succès de l’exercice est improbable, comme nous l’avons maintes fois souligné ici ; mais l’abandon de positions intégristes permet d’arrondir les angles avec les Etats-Unis (qui réclamaient un revirement stratégique de l’Europe), sans offusquer la ligne orthodoxe de l’Allemagne. Il n’y a donc pas de changement de cap, mais « assurément un changement de ton », comme l’a finement observé le ministre français de l’Economie. Il s’agit donc de continuer à naviguer à vue, entre le marteau de la récession et l’enclume du surendettement public. Le changement de ton ne rend pas le cabotage moins périlleux.

Le deuxième moyen traditionnel – la politique monétaire – échappe complètement aux gouvernements de l’Eurozone. Bien que réputées indépendantes, les banques centrales américaine, anglaise et japonaise, ne se sont pas privées de venir au secours de politiques budgétaires nationales défaillantes. Par la création monétaire massive, voire hyper-massive comme au Japon. Il s’ensuit une dépréciation des monnaies concernées, logiquement plus accentuée pour le yen. Tokyo affirme ne poursuivre que des « objectifs intérieurs » - la lutte contre une déflation rampante -, conformément aux engagements pris par les uns et les autres. Mais personne ne peut raisonnablement croire à la sincérité virginale du Japon dans cette nouvelle étape de la guerre des monnaies. Bref, c’est là aussi le statu quo dans le désordre financier mondial.

En revanche, sur le terrain de l’évasion fiscale, les grandes manœuvres semblent se déployer. Le thème a été élevé au rang de priorité pour le prochain G8 qui se tiendra près d’Enniskillen (Irlande du Nord), en juin prochain. D’ores et déjà, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’Australie ont annoncé une action commune, en vue d’exploiter les « milliers de fichiers informatiques » obtenus par recel et relatifs à des comptes secrets détenus dans des paradis fiscaux. En Europe, les membres de l’Union se déclarent prêts à communiquer les informations de nature fiscale à tout Etat qui en ferait la demande. Même la Suisse et le Luxembourg seraient favorables à ce processus… sous réserve qu’il soit d’application internationale. Car il s’agit moins, en l’espèce, de traiter la question des paradis fiscaux que celle des paradis bancaires – c’est-à-dire le sujet épineux du secret bancaire. Il y aurait, à l’heure actuelle, au moins 21 000 milliards de dollars enfouis sous ce secret, et souvent protégés par des montages juridiques d’une opacité remarquable. Les grands paradis de l’Europe continentale – Suisse, Luxembourg, Autriche, Lichtenstein – ont bien compris que leurs places fortes sont désormais assiégées. Et qu’il faudra bien, un jour prochain, abaisser le pont-levis. Mais ce serait pour eux un suicide que de rendre les armes alors que d’autres paradis – notamment Hongkong et Singapour – demeureraient accessibles aux évadés. Autant dire qu’il faudra encore beaucoup de temps avant que la finance de l’ombre ne prenne un méchant coup de soleil.

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