Grèce : l'entracte

Grèce : l’entracte

Le rideau vient de tomber sur la première partie du mélodrame grec. Une fraction de la dette du pays est effacée. Et les spéculateurs les plus teigneux, qui ont refusé le deal, seront récompensés par l’activation des CDS. La suite de la pièce promet d’intensifier le suspense. Car Athènes n’est pas sauvée. Et d’autres personnages sont en coulisse….

Ainsi donc vient de s’achever l’un des actes les plus mélo du drame grec. Celui dans lequel le principal protagoniste, assiégé entre une armée de créanciers et ses propres troupes débandées, parvient à signer l’armistice. Ou l’acte de reddition, plutôt : ni ses intérêts, ni son honneur, ni son avenir ne sont préservés. Mais tels n’étaient apparemment pas les objectifs des négociateurs. Il semble bien que le sort des Grecs n’ait pas figuré au menu des négociations, même pour leurs dirigeants actuels, promis à la sanction des prochaines élections. Cet accord, arraché à l’extrême limite du temps réglementaire, ne sauve pas le match nul – au sens propre et au sens figuré. Mais il permet de différer les prolongations, selon la vieille approche « gradualiste », consistant à gagner du temps sur le calendrier des événements détestables. Car au final, le contenu du deal ne s’écarte pas du projet qui était sur la table. On peut donc s’étonner qu’il ait fallu autant tergiverser avant de le signer. A moins qu’il ne comporte des addenda camouflés. Ou qu’il soit strictement conforme à ce qui était prévu, mais que faute d’avoir pu obtenir l’unanimité au sein des créanciers, les belligérants aient préféré faire « comme si » un pas avait été franchi avant que le gong ne sonne la fin, provisoire, de la partie.

Car les exclus volontaires de cet accord n’ont pas désarmé. Selon les informations officielles, 83,5% des « créanciers privés » sont concernés par l’abandon volontaire de créances, soit à peine plus que le seuil jugé incompressible par le gouvernement grec. Seuls ont concédé leur signature les banquiers, assureurs et fonds de pension qui devaient consolider, sur le plan comptable, une situation instable et embarrassante. Ainsi, alors que le « haircut » porte sur 53,5% du nominal de la dette en cause, l’impact dans les comptes des détenteurs s’élève à une dépréciation d’environ 75% – eu égard au mode de valorisation dont nous avons déjà fait état dans ces colonnes. Si bien que dans la valse des milliards concernés et dans la complexité des modalités contractuelles retenues, il est bien difficile de se faire une idée précise de la situation…

Victoire à la Pyrrhus

A combien s’élève la dette résiduelle de la Grèce ? Si quelqu’un peut en donner le chiffre exact, qu’il lève la main. Mais personne ne le fera, car l’exercice est impossible : la situation évolue chaque jour et, semble-t-il, dans le sens de l’aggravation. Viennent d’être révélés les derniers chiffres de l’activité grecque en 2011 : une récession de 7,5%. Davantage que ce qui était redouté, remettant en cause l’objectif, en lui-même ésotérique, de ramener la dette du pays à 120,5% du PIB en 2020. On appréciera la précision ineffable du demi-pourcent à une échéance aussi éloignée… En attendant, les hegde funds qui n’ont pas signé l’accord, titillés par la mise en œuvre des clauses d’action collective, ont finalement obtenu gain de cause. L’ISDA, juge suprême de la loi de la jungle sur les marchés dérivés non réglementés, a dû admettre que le contexte justifiait de valider l’« événement de crédit » qui déclenche l’activation des CDS. Les heureux titulaires de ces derniers vont ainsi se faire rembourser, par les émetteurs, environ 75% du nominal garanti. Le débours net qui en résulte représenterait autour de 3 milliards de dollars, sans que quiconque puisse vérifier le chiffre, eu égard à l’opacité de ce marché. Un montant jugé « négligeable » par les commentateurs patentés. Un pourboire. Même si tel est le cas, un tel précédent démontre qu’il est préférable de refuser toute transaction avec le débiteur. Si bien que le système financier sera sur les charbons ardents en cas de future défaillance souveraine. Ne serait-ce que la survenance d’un nouveau « plan » au profit d’Athènes, déjà jugé incontournable. Les banques centrales de l’Eurozone, à l’écart du récent haircut grec, ne pourront échapper à un remboursement au marc le franc de leurs créances : la « crise de l’euro » n’est donc pas achevée.

Ce contexte étant évident pour chacun, comment est-il possible que les marchés financiers aient salué l’accord par un regain d’optimisme ? On trouvera une réponse circonstanciée, entre autres développements passionnants, dans le dernier essai de Jean-Pierre Dupuy [1], qui constitue le prolongement d’une abondante production antérieure (inconnue du chroniqueur, pour sa plus grande honte). La formation des prix se faisant, d’un point de vue théorique, par l’ajustement réflexif des anticipations de chaque opérateur, elle relève d’un problème sans solution, ce que le tableur Excel dénonce comme « référence circulaire » (la variable recherchée dépend d’elle-même). Il faut donc figer une valeur-objectif pour obtenir un résultat. Cette valeur n’est délivrée, au cas d’espèce, ni par les prévisionnistes, ni par les prospectivistes, ni par les prophètes, mais par les « experts » acceptés comme tels. Quand bien même leur diagnostic serait-il perçu comme fantaisiste. Ce qui compte, c’est ce que l’on croit que les autres croient que nous croyons. Comme dans le « concours de beauté » de Keynes, la facette people de l’« écomystification » dénoncée par le professeur Dupuy.

[1L’Avenir de l’Economie, Flammarion, février 2012.

Visuel : Photos Libres

deconnecte