Impôts : le révélateur

Impôts : le révélateur

Chaque citoyen est supposé consentir à l’impôt voté par ses représentants. Mais son seuil de tolérance s’est considérablement abaissé sur les dernières décennies. Pourtant, les objectifs publics annoncés supposent des ponctions autrement plus importantes que celles qui sont suggérées par les plans de campagne.

Les hasards du calendrier offrent des collisions surprenantes. En pleine accélération de la campagne présidentielle, dans le bruit et la fureur des meetings, les rafales d’engagements solennels, les bordées d’imprécations assassines, voilà que se pointait le centième anniversaire du naufrage du Titanic. Notre espèce manifeste une appétence inexplicable pour les chiffres ronds, si bien que le fameux paquebot a fait l’objet de multiples récits, conférences, expos et ventes aux enchères, sans pour autant susciter les commentaires par analogie qu’appellent les temps présents. Car d’un point de vue symbolique, le naufrage du Titanic sanctifie les dommages collatéraux de l’outrecuidance technologique et du déni de réalité. Réputé insubmersible, le paquebot n’avait pas de raisons de limiter l’allure, en dépit des avertissements pressants des navires de l’ancien monde – celui où les icebergs déchirent la coque. Ni le capitaine ni l’armateur ne semblaient pourtant plus benêts que la moyenne des capitaines et des armateurs, mais ils ont tous deux fait fi de l’évidence du danger : le Titanic était trop parfait pour sombrer.

De la même façon, d’autres responsables, parmi nos contemporains, au constat que le système financier menaçait de couler, ont décidé que les organismes de crédit, bien qu’imparfaits, étaient trop gros pour faire faillite. Ils ont donc étoupé les voies d’eau à la chair de contribuable. Une matière renouvelable, certes, mais menacée par une exploitation intensive qui rend sa reproduction plus laborieuse. Si bien que dans la plupart des pays du monde, l’ambition affichée de respecter l’orthodoxie budgétaire, après avoir atteint des sommets dans l’endettement public, passe nécessairement par l’augmentation significative des ressources fiscales. Au moins pour une large partie, car il est illusoire de retourner à l’équilibre par de simples mesures d’économie, sauf à sacrifier des pans entiers de services publics.

L’aversion à l’impôt

Il est assez intéressant de vérifier, une fois encore, que l’impôt est principalement perçu, tant de la part du public que des personnalités politiques, comme un système punitif. Voilà pourquoi il est aussi difficile, pour n’importe quel candidat en campagne, de proposer une grille de taxation qui satisfasse les objectifs publics sans indisposer la « clientèle » recherchée. Si bien que partout, on commence à aborder la question par la fraude, identifiée ou non, qui concerne potentiellement les titulaires de revenus élevés dépourvus de conscience « citoyenne », et donc à ce titre doublement critiquables, selon les normes françaises. Dans notre pays, comme nous l’avions récemment subodoré, l’offensive reprend contre la finance suisse, suspecte d’avoir organisé illégalement l’évasion de capitaux, au nez et à la barbe des institutions de contrôle ou sous l’indifférence bienveillante de ces dernières. Au vu de l’ampleur que prennent les escarmouches, on peut s’attendre à ce que le dossier offre de multiples rebondissements. En Grèce, afin de calmer la rancœur du citoyen étrillé d’impôts nouveaux, quelques actions d’éclat contre des politiciens corrompus, ou soupçonnés l’être, sont supposées témoigner de l’orientation nouvelle du pays. Lequel demeure, à ce jour, champion d’Europe de l’économie souterraine, avec près du quart de son PNB généré « au noir ». Pas loin de cette performance dans l’opacité, l’Italie a déclenché, dès l’année dernière, une offensive contre la fraude, qui a rapporté un peu moins de 10% des… 150 milliards d’euros qui seraient soustraits à l’administration (en ce comprises les activités illégales). Si bien que le sévère tour de vis donné par le gouvernement Monti pénalise surtout les petits entrepreneurs, qui enregistrent une épidémie de suicides, alors que nul parrain de la mafia n’a apparemment cédé au désespoir… En Espagne, qui égale la Grèce dans l’activité souterraine, la carotte de l’amnistie fiscale (pour le rapatriement de capitaux) et le bâton de la limitation des paiements en cash, sont supposés ramener une part significative de l’activité dans le champ de l’imposition. En un sens, ces pays « du Sud » ont bien de la chance : en poursuivant efficacement les innombrables fraudeurs, ils disposent d’un gisement considérable de recettes supplémentaires. Leur permettant, au moins en théorie, de crédibiliser leur objectif.

Chez nous, le problème se pose différemment : un peu plus de 10% de l’activité, « seulement », seraient occultes. C’est-à-dire que le manque à gagner, fiscal et social, serait au maximum d’une centaine de milliards d’euros, difficiles à dénicher eu égard à l’efficacité de nos systèmes de contrôle. De ce fait, le retour à l’équilibre budgétaire, et la perspective ambitieuse de l’OCDE d’une dette nationale n’excédant pas 50% du PIB, ne pourraient être réalisés sans une ponction fiscale autrement plus sévère que celle qui est proposée dans les programmes électoraux. Toutefois, quiconque a aujourd’hui atteint l’âge de la maturité se souvient de temps, pas si lointains, où l’impôt sur les sociétés était à 50% et la dernière tranche de l’impôt sur le revenu à 72%. D’accord, c’était cher. D’accord, chacun essayait de réduire l’addition, et les finasseries fiscales légales n’étaient pas légion. Aujourd’hui, de tels taux passent pour totalement irréalistes, contrevenant à la réflexion que nous fit, voilà longtemps, l’un des premiers patrons de la Direction générale des impôts (DGI) : « L’impôt, c’est facile : vous l’augmentez tant que les gens acceptent de le payer ». Désormais, ce sont « les marchés » qui fixent le taux optimal de l’impôt, le montant des salaires et le prix de l’argent. Autant dire que si la situation ne change pas, les politiques n’auront plus vraiment d’arguments pour justifier l’exercice de leurs mandats.

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