L'assurance-vie à la (...)

L’assurance-vie à la baratte

La prochaine loi de Finances devrait introduire une réforme de l’épargne financière. Concernant tout particulièrement les gros contrats d’assurance-vie. Faute de pouvoir mettre en cause l’exonération des droits de succession, il est question d’imposer à ces assurés de financer les PME. Roué, mais astucieux.

Le premier trimestre aura été honorable pour le secteur de l’assurance-vie, avec plus de 6 milliards d’euros de collecte nette. Même si le mois de mars est en régression et ne représente que le dixième de ce montant. Mais au moins les épargnants n’ont-ils pas cédé à la tentation de retraits massifs, que leur comportement sur l’année précédente aurait pu laissé craindre. En tout cas, les Français continuent d’épargner plus de 16% de leurs revenus, avec une préférence pour l’épargne réglementée (près de 2,8 milliards d’euros sur le seul mois de mars). Malgré la baisse du pouvoir d’achat, les incertitudes incitent les ménages à gonfler leurs réserves monétaires. Au détriment de la consommation, bien entendu, et donc de la croissance à venir.

Comme l’aversion au risque est plutôt élevée dans notre pays, l’épargne rechigne à s’investir dans les entreprises cotées, et encore moins dans les PME. Sauf à appâter les gros contribuables d’avantages fiscaux substantiels – et encore. Les nouvelles modalités d’imposition des plus-values sur valeurs mobilières (avant application de la réforme annoncée) ne vont guère dans le sens d’une incitation aux placements à risque. Seuls les créateurs d’entreprise continuent de bénéficier d’une taxation forfaitaire – merci au mouvement des « pigeons ». Les investisseurs doivent au contraire soumettre leurs profits à l’application du barème progressif, après un abattement éventuel. Dans le même temps, le Gouvernement cherche, comme son prédécesseur et les prédécesseurs de son prédécesseur, à orienter une part significative de l’épargne privée vers le financement des PME. Que ce soit en fonds propres ou sous la forme de crédit obligataire. La question se pose d’autant plus crûment que les banques, confrontées à leurs propres embarras, se montrent parcimonieuses dans le financement des entreprises. Ce pourquoi le Premier ministre a chargé deux députés d’examiner les pistes d’une réforme de l’épargne financière, qui puisse « utilement contribuer au financement de l’économie ».

Mécénat forcé

Il en est résulté le rapport Karine Berger – Dominique Lefebvre, qui a été remis au commanditaire dès le début avril. On ne peut pas dire que ce rapport éclaire la question d’un jour nouveau. Du reste, les rédacteurs admettent qu’il a déjà été beaucoup écrit sur le sujet, ce qui est parfaitement exact. Et sans vouloir offenser les parlementaires concernés, la plupart des travaux antérieurs l’emportent en qualité sur ce nouvel opus, tant dans la forme que sur le fond : il faut être très motivé pour avaler ce pathos syntaxique, peu représentatif de la formation des signataires (respectivement polytechnicienne et énarque). Quant au fond, on soupçonne un audit « de commande », ayant vocation à préparer l’aménagement prochain du statut fiscal de l’assurance-vie, notamment celui des gros contrats (identifiés dans le rapport comme supérieurs à 500 000 euros). En dépit de l’abondante documentation disponible, les rapporteurs ont auditionné pléthore de responsables de la finance que l’on qualifiera d’institutionnels – institutions financières, organes régulateurs, associations professionnelles -, ayant des préoccupations communes, ou à tout le moins très voisines. Les conclusions du rapport témoignent, dans le libellé comme dans l’argumentaire, de la rhétorique ordinaire des milieux financiers pour défendre la prospérité de leur secteur. De la part de ces derniers, la démarche est compréhensible ; de la part des rédacteurs, on aurait souhaité un peu moins de perméabilité à des arguments sommaires. Un peu plus de distance critique, si l’on préfère.

Mais le cahier des charges imposait sans doute de ne pas faire de vagues. En foi de quoi, est-il proposé, comme base de la « réforme », d’abord de… ne rien changer à l’existant. Pour ne pas fâcher les banques, maintenir le dispositif relatif à l’épargne réglementée. Pour ne fâcher aucun intervenant, garantir la pérennité des dispositions dérogatoires en matière fiscale : reconnaissons qu’il s’agit là d’une revendication constante et légitime des professionnels, notamment des assureurs, afin de stabiliser leurs encours. Dans ce contexte de continuité, comment trouver de nouveaux moyens pour capter de l’épargne longue vers les entreprises non cotées ? Pas question de créer une incitation fiscale coûteuse : l’état des finances publiques ne le permet pas. Mais la neutralité fiscale ne mange pas (trop) de pain : comme un Plan d’épargne en actions spécifiquement dédié au non coté. Soit : le PEA garantit l’exonération des dividendes et des plus-values, ce qui n’est pas négligeable. Lorsqu’il y a dividendes et plus-values – deux denrées hélas assez rares dans le capital-développement. La seconde proposition constitue le cœur du rapport : les gros contrats d’assurance-vie, qui pèsent lourd dans les livres des compagnies. Ce n’est pas tant le régime fiscal des revenus qui pose problème, encore que le rapport recommande l’allongement de la durée de détention pour en bénéficier (une suggestion récurrente des assureurs). Ce qui coince, c’est le dispositif successoral – miraculeusement avantageux pour les anciens contrats et donc très coûteux pour le Trésor. Revenir sur l’exonération de droits provoquerait un tsunami de rachats – encore que la chasse aux « paradis », si elle aboutit réellement, limite les portes de sortie. L’option consisterait alors à ajouter une condition d’exonération : détenir dans le contrat un certain pourcentage de non coté. En d’autres termes, pour mériter un bol de crème, les gros contribuables devront acheter un seau de petit-lait. Ce qui revient à la légalisation de la vente forcée, lorsqu’elle s’exerce au profit d’un objectif d’intérêt public. C’est astucieux et politiquement défendable…

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