L'assurance-vie au scalpel

L’assurance-vie au scalpel

Sans ébranler la discrétion assourdissante des assureurs, la Cour des comptes a récemment publié un audit sur la politique en faveur de l’assurance-vie. Si le ton est critique quant à la justification des faveurs en question, les titulaires de gros contrats n’ont pas à s’inquiéter : le régime successoral dérogatoire n’est pas mis en cause.

Chacun a pu constater que depuis le début de la crise, le secteur de l’assurance a fait preuve d’une discrétion inhabituelle. D’ordinaire, la profession dépense de petites fortunes dans sa communication, avec les succès que l’on connaît : l’assurance-vie est devenue le premier poste de l’épargne financière française. Même si la collecte a connu, ces derniers
temps, un net ralentissement. On a déjà, dans ces colonnes, suggéré un motif au repli médiatique des compagnies : leur exposition aux risques souverains est telle, qu’elles jugent préférable de s’abstenir de toute fanfaronnade publicitaire. Ce n’est qu’une hypothèse, bien entendu. Mais qui a une bonne probabilité de tutoyer la réalité : les provisions mathématiques des assureurs sont principalement constituées de titres de créances. En
phase avec les attentes des assurés, qui affectent l’essentiel de leur épargne aux « fonds en euros », par aversion au risque.

Il en résulte que les compagnies détiennent un stock élevé d’obligations « à risque », qu’il s’agisse d’emprunts d’Etats en grande difficulté (où les pertes sont d’ores et déjà avérées), ou de créances sur le secteur financier (les assureurs portent une large part de la dette bancaire). Or, les fonds en euros garantissent un taux de rendement minimum, avec effet de cliquet. Si ce taux est aujourd’hui voisin de celui offert par un livret A, voire inférieur, il
n’en demeure pas moins que cette garantie doit être provisionnée, au même titre que celle accordée antérieurement à des taux nettement supérieurs. Tout sinistre sur le portefeuille coûte donc cher en fonds propres, dans le même temps où les exigences réglementaires se renforcent en la matière. Il nous faut donc supposer que les assureurs retiennent leur respiration et préfèrent se faire oublier, dans l’attente que la situation s’améliore, ou à tout le moins se clarifie. La corporation n’a émis aucune réaction à la publication, fin janvier, d’un rapport thématique de la Cour des comptes sur « la politique en faveur de l’assurance-vie ». Mais en dépit de ses réserves sur le dispositif en vigueur, le rapport est plutôt bienveillant.

Banco sur le long terme

Notre marché de l’assurance-vie est, par la taille, le quatrième mondial après ceux des Etats-Unis, du Japon et de la Grande-Bretagne. Pays dans lesquels les systèmes institutionnels de retraite sont peu ou très peu développés, ce qui impose aux populations de constituer un complément individuel. Chez nous, les régimes obligatoires de retraite sont plus généreux, en dépit des critiques régulières sur leur coût. Dans leur majorité écrasante, les contractants français déclarent, comme première motivation, la préparation de la retraite. Mais les faits démentent ces allégations : la durée moyenne des contrats s’élève à environ dix ans, ce qui semble un peu court pour la réalisation de l’objectif… De fait, comme le relève avec bon sens le rapport, les contrats en cause sont d’abord souscrits pour leurs qualités de placement financier : sécurité en termes de rendement, liquidité relative et… fiscalité
attrayante, tant sur le revenu que sur la transmission. Ce dernier aspect constitue, à n’en pas douter, la motivation quasi-exclusive des souscripteurs les plus fortunés. Le rapport reprend les statistiques des professionnels : les deux-tiers des capitaux investis dans l’assurance-vie sont détenus par des souscripteurs appartenant au dernier décile de patrimoine (aux 10%
de contribuables disposant du patrimoine le plus élevé) ; un quart de ces mêmes capitaux est aux mains des 1% les plus fortunés. Se trouvent ici concentrés de « gros » contrats voire « très gros », où l’unité est la centaine de millions d’euros, qui seront transmis sans aucune taxation s’ils disposent d’une antériorité suffisante.

Compte tenu de ces particularités exceptionnellement favorables, il est légitime de s’interroger sur les justifications du régime dérogatoire. L’argument principal a été légèrement toiletté depuis son introduction dans les années 1960, mais l’esprit demeure : il s’agit de favoriser le financement de l’économie par la captation d’une épargne à long terme. La Cour des comptes estime que la portée de cet argument doit être relativisée. Aujourd’hui, moins de 10% des placements des assureurs concernent les entreprises non financières françaises. La part consacrée aux actions ne cesse de décliner et le capital-risque fait plutôt l’objet de désinvestissements. Et depuis que les marchés financiers sont globalisés
et que les assureurs ont été délivrés de « l’obligation de l’obligation », la contribution de ces derniers au financement public français s’est fortement réduite. Le rapporteur juge toutefois pertinent d’encourager les citoyens à une épargne longue et estime que la politique publique devrait se concentrer sur ce seul objectif. Il note que les contractants se sont montrés insensibles à l’alourdissement régulier de la fiscalité de l’assurance, dont ils appréhendent mal la complexité, et que cette fiscalité n’encourage pas vraiment la détention longue. En d’autres termes, qu’un objectif à huit ans ne constitue pas le long terme et que l’imposition actuelle, avant cette échéance, n’est pas assez lourde. En foi de quoi la Cour recommande-
t-elle un réaménagement du dispositif en vigueur. Mais elle conserve une neutralité prudente et pudique sur la question des droits de mutation. C’est qu’il y a de très gros capitaux en jeu et leurs détenteurs sont bien conseillés… Il est vrai que les contrats en cause demeurent stables : ils épousent exactement la longévité de leurs souscripteurs.

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