L'Eurozone en ordre (...)

L’Eurozone en ordre de bataille

Brouille dans la maison européenne : des responsables français agressent l’intransigeance allemande pour le respect de la rigueur. A défendre des objectifs contradictoires, la situation était prévisible. La chamaille s’apaise mais le problème de fond demeure. Et l’Allemagne semble se préparer au choc frontal.

Il ne suffit pas de convoler sous le régime de la séparation pour échapper aux querelles d’intendance. En témoigne la crise que traverse le « couple franco-allemand », jusqu’alors célébré pour sa constance dans l’adversité. C’est à la marmaille politique française qu’il faut imputer la discorde présente : sentant chanceler l’autorité du paterfamilias, quelques leaders de la branche majoritaire se sont autorisés des critiques véhémentes et désobligeantes à l’égard de la Mutter teutonne. Laquelle ferait preuve d’« égoïsme » en se montrant « intransigeante » dans la cure d’austérité. Si l’on doit se montrer circonspect face à l’accusation subjective d’égoïsme – reproche ordinaire des enfants rabroués –, il faut toutefois tenir pour authentique l’intransigeance de Dame Merkel en matière de discipline communautaire. Sa posture serait critiquable si la discipline en cause était excessive, c’est-à-dire inappropriée : il est légitime de s’insurger contre une autorité dictatoriale. Mais au cas d’espèce, la Chancelière ne fait que rappeler sans relâche les règles de vie commune qui ont été acceptées par les dirigeants européens, y compris les français. Il est un peu tardif, pour nos représentants, de découvrir que les arguments de campagne n’étaient pas compatibles avec leur soumission sans réserves au modèle dominant.

Pour résoudre la quadrature du cercle, il faudrait inventer une stratégie politique permettant de mener de front deux objectifs contradictoires : l’assainissement financier et la relance de l’économie. Le premier requiert l’austérité budgétaire ; la seconde exige d’ouvrir les vannes de la dépense publique. Cherchez l’erreur. Cela ne signifie pas pour autant que l’orthodoxie défendue par l’Allemagne soit la solution incontournable : on n’a cessé de rappeler ici qu’il est totalement illusoire de prétendre amortir les montagnes de dettes accumulées. Une telle ambition suppose la saignée des citoyens, et donc de probables désordres sociaux, sans pour autant se prémunir d’une cascade de défauts, souverains et autres, que l’on prétend éviter à tout prix.

Mais si s’astreindre à rembourser une dette excessive favorise la récession, augmenter cette dette excessive ne promet pas davantage le salut : les prêteurs deviennent alors plus exigeants et le bout du tunnel recule d’autant. Si bien que ni la rigueur défendue par l’Allemagne, ni le laxisme prôné par la France, ne sont susceptibles de restaurer un système au bout du rouleau. Quasi-unanimement favorables à la préservation du capitalisme de marché, les autorités du monde entier devraient en accepter la règle intangible : en cas de surendettement manifeste, le retour à la normale passe nécessairement par l’euthanasie des créanciers. Pour avoir refusé l’application de cette « loi naturelle », les gouvernements sont désormais contraints d’asservir leurs populations aux besoins du Trésor et à ses banquiers. Au risque, évidemment, de susciter de multiples vocations de Spartacus.

Le plan B allemand

La question n’est donc pas de déterminer quand la situation pourrait se rétablir : cette hypothèse est hautement improbable. En revanche, il est utile d’essayer d’identifier les événements qui pourraient précipiter le collapsus du système dominant, prélude à sa refondation. Les grenades dégoupillées ne manquent pas sur le terrain des relations internationales : entre la chienlit au Moyen-Orient et le climat de guerre froide qui s’instaure entre les USA d’une part, la Russie et la Chine d’autre part, les foyers d’embrasement se multiplient. Sur le plan économique, l’atonie de l’activité aggrave l’impécuniosité souveraine et fragilise les bilans bancaires déjà mal en point. Dans de nombreux pays, la cure d’austérité provoque des ravages sociaux et fait bouillir le chaudron des tentations insurrectionnelles. Et en Europe, la donne pourrait rapidement évoluer sous l’impulsion décisive de… l’Allemagne.

Il est tentant d’attribuer l’« intransigeance » d’Angela Merkel à la proximité des élections outre-Rhin. Mais ce point de vue est sans doute trop réducteur. D’abord, parce qu’un changement de majorité (peu probable, à ce jour) ne préjugerait pas d’un renoncement à l’orthodoxie : le « modèle » allemand fait consensus au sein de la population et l’engagement européen est déjà significatif (700 milliards d’euros d’exposition aux Etats de l’Eurozone). Ensuite, la publication d’une note officielle, bien que « secrète », sur l’état de l’économie française – négative sur son devenir et très critique sur l’indécision politique – reflète l’intensité des convictions des dirigeants allemands. Enfin, le dévoilement opportun d’un mémoire de la Bundesbank (remis à la Cour constitutionnelle, en décembre dernier), vient conforter la ligne suivie par la Chancelière. Le gouverneur actuel de la Buba, Jens Weidmann, est un authentique « pro » des questions monétaires. Et à ce titre nécessairement orthodoxe (voire ultra-orthodoxe). Autant dire qu’il se montre très critique à l’égard de la politique suivie par la BCE (en particulier le recours à des pratiques « non conventionnelles »), et il reproche implicitement à Mario Draghi d’outrepasser le mandat de l’institution en défendant l’irréversibilité de l’euro – c’est-à-dire l’impossibilité, pour un Etat, de retourner à son ancienne monnaie nationale. Du point de vue de la doctrine monétaire, l’argumentaire de Weidmann est imparable. Du point de vue des marchés de capitaux, les allégations de Draghi sont un puissant facteur de sérénité. Mais c’est du flan. Dans son mémoire, la Buba ouvre ainsi le champ à un « plan B » au cas où le soutien de certains Etats-membres deviendrait trop coûteux : l’abandon pur et simple de l’euro par les Etats impécunieux. Si l’euro n’est pas irréversible, l’opiniâtreté prussienne l’est assurément. Voici venir le temps du combat entre rigoristes et laxistes. Ça devrait saigner.

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