L'or de la discorde

L’or de la discorde


Entre banques centrales, la confiance mutuelle relève du postulat. Au point que certaines n’hésitent pas à entreposer leur trésor métallique chez des consœurs. Gracieusement, sauf à la banque d’Angleterre. Mais le soupçon de pratiques sulfureuses encourage au rapatriement. Ainsi que la menace d’un bug des monnaies.


L’or va-t-il devenir un sujet supplémentaire de discorde entre nations ?
Il semblerait que tous les Etats disposant d’un confortable stock métallique soient touchés par la même fièvre : s’assurer de la réalité de leurs possessions et rapatrier le métal sur leur territoire.

Les premiers symptômes sont apparus aux Etats-Unis. Voilà des lustres que le sénateur Ron Paul réclame un audit complet de la Banque fédérale, qu’il soupçonne d’acrobaties comptables.
Et il a, depuis quelques années, ajouté une exigence supplémentaire : un inventaire détaillé de… Fort Knox, où seraient entreposées les 8 133 tonnes d’or qui figurent au bilan de la FED.
Car circulent à Washington des rumeurs persistantes, selon lesquelles l’administration Clinton aurait procédé à tour de passe-passe d’envergure : la fabrication d’une quantité considérable de lingots de 400 onces (des « barres » d’un peu plus de 12 kg), en tungstène doré à l’or fin.
L’objectif de la falsification aurait été d’empêcher la valorisation du prix de l’or, par des ventes massives de physique (la fabrication aurait porté sur 16 000 tonnes de faux lingots, soit à-peu-près la moitié des réserves de toutes les banques centrales du monde).

Aujourd’hui, les techniques de manipulation des cours sont un peu plus sophistiquées : grâce au marché à terme et aux ETF spécialisés - supposés détenir beaucoup plus de métal qu’ils n’en possèdent réellement. Ce qui un jour ou l’autre finira par produire un joli désordre.}
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Bien sûr, les lingots au tungstène relèvent de la rumeur. Mais pas complètement : deux incidents au moins ont été (timidement) signalés sur les dernières années.
Dont l’un concernant la Banque de Chine, qui avait exigé la livraison d’une grosse quantité de métal précieux acquise sur le marché à terme, au lieu de laisser gentiment son or « en dépôt » : le lot comprenait une bonne partie de barres truffées à la ganache de tungstène – ce qui n’a pas échappé aux Pékinois.
Les deux métaux ayant la même masse volumique, il était auparavant nécessaire de percer le lingot pour éventer la supercherie.

Désormais, il est possible d’identifier les faux grâce à un détecteur à ultrasons – la technique de l’échographie médicale. L’épargnant n’a pas trop à s’inquiéter s’il ne possède que des lingotins de 1 kg : le façonnage du tungstène est une opération que peu d’industriels maîtrisent complètement, car son point de fusion est à plus de 3 400 degrés.

Chasse au trésor

Voilà peu, les élus suisses se sont également inquiétés de la localisation de l’or de leur Banque centrale.
Et ont découvert que seule une faible partie était stockée sur leur sol. Leurs homologues allemands viennent de faire la même démarche, avec les mêmes résultats : sur les 3 391 tonnes de leur trésor, 1 036 seulement sont logés à Francfort.

La plus grosse partie (1 536 tonnes) est conservée par la Fed américaine ; 450 tonnes squattent encore la Banque d’Angleterre et la Banque de France en détient 374 tonnes. Que Berlin a promis de promptement rapatrier. Deux raisons à cette dispersion : des arguments historiques (le risque soviétique aux temps du Rideau de fer) et des motifs techniques (la proximité des principales places de transaction, en cas de nécessité de mobiliser de grandes quantités de devises étrangères).

Seulement voilà : les rumeurs s’ajoutant aux rumeurs, il y a désormais un risque non nul que les dépôts d’or se soient transformés en tungstène et/ou que les dépositaires en aient usé à leur convenance, par interprétation extensive de l’usucapion : si vous laissez plus de trente ans votre or au garde-meubles, il ne vous appartient plus…

Peut-être les craintes ne sont-elles pas fondées. Mais il faut admettre que les banques centrales se montrent systématiquement réfractaires à la transparence.
Surtout concernant leurs entrepôts de métal – même si la Banque de France a récemment, pour la première fois de son histoire, autorisé un journaliste du Figaro à photographier quelques tas de lingots. Lesquels appartenaient peut-être à Berlin.

Ou étaient peut-être fourrés au pralin. Quoi qu’il en soit, cette frénésie de rapatriement ne saurait être fortuite. S’il est aisé de comprendre que le Venezuela ait préféré ramener son or à la maison, vu l’affection que lui vouent les grands pays occidentaux, le phénomène est moins justifiable entre alliés historiques.

Car tout le monde sait depuis longtemps que les banquiers centraux peuvent être de vilains cachotiers – tout particulièrement en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Alors, pourquoi cette soudaine fébrilité ?
Il est permis d’avancer une thèse : par leur création monétaire délirante, les instituts d’émission américain, britannique et maintenant japonais, accroissent considérablement le risque, déjà élevé, d’un cataclysme destructeur du système financier.

Dans une telle perspective, aucune monnaie ne mériterait plus le respect.
Il serait alors salutaire de pouvoir disposer de son or à portée main, et d’être certain que ses lingots ne sont pas en chocolat. Car les grands argentiers peuvent se montrer présomptueux, arrogants et même cyniques. Ils peuvent tenir sans ciller des discours dont ils ne croient pas un traitre mot : le capital des banquiers centraux, c’est la confiance que les marchés mettent en eux.

Mais s’ils ne disaient que la vérité, les financiers n’arrêteraient pas de mouiller leurs braies. En ramenant l’or dans leurs cassettes, ils émettent un signal d’alerte. Comme les écureuils en automne : quand ils amassent des monceaux de noisettes, c’est que l’hiver sera rude.

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