L'or en fusion

L’or en fusion

A mesure que la survie du système financier apparaît comme hypothétique, la razzia de métal précieux s’accélère. Et pas seulement dans les pays coutumiers des désordres monétaires. Le potentiel haussier demeure puissant. A ce rythme, rien n’exclut qu’il faille bientôt sortir un billet violet pour acquérir un simple napoléon.

Les collectionneurs de pandas s’enrichissent. Ce n’est pas de l’animal lui-même dont ont veut parler, mais des pièces d’or du même nom que la Chine émet chaque année depuis 1980 : de très belles médailles, portant toutes un panda à l’avers et dont certains millésimes, rares, se négocient à des cours stratosphériques. Bien au-delà des 1 600 dollars l’once, niveau désormais atteint par le cours du métal précieux. Une récompense pour les fidèles de la « relique barbare », ces ringards qui snobent les merveilleuses inventions de l’ingénierie financière, comme la pochette-surprise de la titrisation ou le CDS – une grenade atomique qui promet de monstrueux désordres au prochain tsunami financier. Les aficionados du lingot sont des passéistes qui ne croient pas à la magie durable des effets de levier, qui tiennent la spéculation pour une activité parasitaire et le monde de la finance, en général, pour un marigot d’escrocs. Le jugement est sans doute sévère. Mais pas totalement infondé, car la martingale de Ponzi est depuis longtemps devenue la pierre philosophale de tout le système : il fallait que Madoff fût bien benêt pour l’avoir pratiquée à la façon rustique d’un détrousseur de foire, et se faire pincer comme un voleur de poules. Pour preuve, les plus hautes autorités de l’Etat américain s’y adonnent sans vergogne : le Trésor étant décavé, la Banque centrale a créé pour lui un petit Himalaya de dollars frais, ce qui permet aujourd’hui à la FED de détenir autant de bons US que… la Banque centrale chinoise elle-même, laquelle a gagné les siens à la sueur de ses usines.

Il n’est donc pas étonnant que l’Oncle Sam refuse tout net d’abandonner le statut confortable de monnaie de réserve conféré au dollar. Il est plus surprenant que le reste du monde continue d’accepter ce ruineux seigneuriage, qui se terminera sur un scénario connu d’avance : il n’existe aucun exemple dans l’histoire des monnaies où la tricherie grossière ne se soit achevée par un hard landing. Ce n’est donc plus qu’une affaire de patience, si l’on ose dire.

La quête de « vraie » monnaie

Dans cette attente, les spécialistes du métal font part de leurs pronostics quant au potentiel de hausse de leur matière favorite. Il y a les champions de l’analyse technique, d’abord, ces haruspices qui lisent l’avenir dans les entrailles des graphiques. Leurs anticipations – haussières – sont toutefois sujettes à caution : en premier lieu, parce que le marché est manifestement manipulé par quelques « gros bras », possiblement armés par les autorités monétaires elles-mêmes. Bien que le dollar soit depuis longtemps indépendant de toute référence métallique, toute forte hausse de l’or constitue un désaveu direct desdites autorités. Et il suffit de peu de chose pour qu’une monnaie dévisse sous la panique. Ensuite, la réduction du nombre d’intervenants, sur les marchés à terme, devrait amoindrir la pertinence de l’analyse technique : la nouvelle réglementation américaine limite désormais l’accès aux matières premières et aux devises, afin d’en exclure les « petits joueurs », supposés trop peu informés ou pas assez fortunés pour supporter les risques qui y sont attachés. Les observateurs suspicieux y voient un possible « remake » de dispositions passées : l’interdiction pure et simple de la détention d’or physique par les particuliers. Du reste, aux Etats-Unis, cette détention est désormais consignée sur des registres officiels, pour tout achat supérieur à… 100 dollars. Il ne faut pas voir dans ces suppositions le témoignage d’une quelconque paranoïa : l’hypothèse est parfaitement plausible, en cas de survenance, assez probable, d’une crise monétaire de grande ampleur. Pendant laquelle le métal deviendrait, au moins temporairement, la seule monnaie crédible. Ce n’est pas tout-à-fait un hasard si les Banques centrales continuent de détenir une encaisse-or significative, alors que plus aucune monnaie de la planète n’y est désormais rattachée. Et toutes ont mis un bémol à leur politique de cessions, d’aucunes ayant même, ces dernières années, renforcé leurs positions. Pour mémoire, les Banques centrales des pays de la zone euro, en ce comprise la BCE, détiennent environ 10 800 tonnes à la fin juillet ; la FED américaine :
8 133 tonnes (et encore, certains mettent en doute la réalité de cette détention…) ; la Banque du Japon : 765 tonnes, nettement moins que la Chine (1 054 tonnes) .

Sur le critère métallique, l’euro est ainsi beaucoup mieux « couvert » que le dollar, dont la masse en circulation est de surcroît considérablement plus élevée (et sans doute incalculable). Si le cours de l’or devait aujourd’hui égaler son sommet du début des années 1980, où la crise monétaire était pourtant moins grave qu’aujourd’hui, il devrait coter… 3 000 dollars l’once (après correction de l’inflation). Autant dire que toutes les hypothèses les plus extravagantes sont autorisées. Avec toutefois une nuance : la crise présente devra se solder par une liquidation de la dette. C’est-à-dire par une très forte contraction des masses monétaires, à moins que les banquiers centraux ne choisissent l’option suicidaire de la planche à billets, comme la FED. Quoi qu’il en soit, ce qui paraît raisonnablement probable, c’est que lingots et pièces offriront une meilleure protection que la monnaie elle-même, dans les temps compliqués que nous sommes appelés à traverser.

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