L'UE sur les nerfs

L’UE sur les nerfs

On comprend sans difficulté que la situation soit complexe, et le climat orageux, au sein de l’Union européenne. Mais il est permis de nourrir quelques inquiétudes au vu des solutions proposées par les « techniciens » patentés. Les uns préconisent de s’asseoir sur les principes démocratiques. Les autres de maquiller la comptabilité…

Big is beautiful. Ce vieil adage du libéralisme triomphant a été plusieurs fois remis en cause pendant les décennies écoulées. Ce qui valut alors à quelques grands trusts d’être démantelés, sur la base de considérations qui ressemblaient davantage à l’épicerie de marchands de biens qu’à une stratégie industrielle. Mais la « vente par appartements » a justifié les bienfaits supposés du « recentrage sur le métier », a validé l’externalisation de bien des activités dites secondaires et, surtout, a permis de poursuivre l’idéal financier des temps modernes. A savoir l’obtention d’un maximum de profits avec un minimum de capitaux propres. Le ROE (return on equity) est devenu le graal de la gestion d’entreprise, l’obsession du manager comme de l’actionnaire. Et puis, finalement, après s’être considérablement délestées, les grandes firmes ont recommencé ce qu’elles savent faire le mieux : la concentration. Il faut bien faire usage des montagnes de cash que l’on a accumulées, à moins de devoir avouer, comme Microsoft ou Apple, que l’on n’a d’autre solution que de distribuer la cagnotte aux actionnaires.

Dans le monde de l’entreprise, grossir est le plus souvent la résultante de l’accumulation des succès. Dans le monde de la politique, l’appel à la concentration témoigne au contraire de faiblesses qu’une taille supérieure ne résoudrait probablement pas. Telle l’Europe, endettée et désunie, qui ne serait pas plus forte en fédérant ses dettes, quoi qu’en pensent certaines de ses élites, favorables à l’émergence de nouveaux pouvoirs, afin de mettre au pas certains Etats-membres désargentés et néanmoins frondeurs…

L’impatience des fédéralistes

Le ministre des Finances allemand, qui s’est jusqu’à ce jour distingué par un discours plutôt musclé à l’égard de la Grèce, verrait d’un bon œil que la Commission soit transformée en « gouvernement de l’Europe », de façon à « développer une politique économique et financière plus intégrée ». Et que soit élu un Président européen – un vrai, semble dire le ministre, qui fait semblant d’oublier, pour l’occasion, que M. Herman Van Rompuy a été élu Président du Conseil européen… De son côté, le past-president de la BCE, qui maintenant pérore sans risques dans le monde entier, vient de déclarer à Washington son intérêt pour un « fédéralisme d’exception » appliqué à l’UE, vu qu’un fédéralisme ordinaire a été maintes et maintes fois refusé par les populations. « Le fédéralisme d’exception me semble non seulement nécessaire pour garantir une solide union économique et monétaire, mais il pourrait aussi s’adapter à la véritable nature de l’Europe sur le long terme. Je ne crois pas que nous aurons un grand budget (centralisé) de l’UE » a-t-il déclaré devant l’Institut Peterson. En clair, dans l’esprit de Jean-Claude Trichet, maintenant que les Etats-membres ont accepté le principe d’une surveillance mutuelle de leurs budgets, et de sanctions en cas de déficits excessifs, il est temps de passer à une étape supplémentaire : la mise sous tutelle des Etats déclarés incapables d’appliquer « les politiques budgétaires approuvées par l’UE ». Dans les pays, par exemple, où le Parlement ne peut offrir aucune majorité de gouvernement, et où le peuple menace de renvoyer l’UE et les créanciers dans leurs foyers respectifs... On appréciera, au passage, la conception de la démocratie que se font le ministre allemand Wolfgang Schäuble, probable successeur de M. Juncker à la tête de l’Eurogroupe, et Jean-Claude Trichet, qui a sans doute été contaminé par « l’indépendance » de la BCE dont il a présidé les destinées. L’un et l’autre expriment leur soumission aux bonnes règles du marché, et leur mépris souverain pour les résultats des urnes. « La véritable nature de l’Europe sur le long terme », ce serait donc, pour l’un comme pour l’autre, une machinerie aux mains de technocrates inspirés par les évangiles indépassables des créanciers.

Dans un registre voisin, on appréciera à leur juste valeur les récentes propositions d’un autre « technicien » revendiqué, Mario Monti, appelé au chevet de l’Italie et manifestement désireux d’apporter une solution radicale aux problèmes financiers de l’Europe. Le nouveau Président français ayant eu l’imprudence de plaider pour la renégociation du pacte de stabilité, relatif à la « bonne gouvernance » européenne, il faut maintenant trouver une solution pour rapprocher le point de vue allemand (austérité budgétaire avant tout), et le point de vue hollandien (relancer la croissance), les deux étant par nature complètement opposés. Monti a donc trouvé la solution, consistant à mettre en forme la thèse précédemment avancée par dame Lagarde, avant que le génie de cette dernière ne soit accaparé par le FMI. Il s’agit en quelque sorte de mettre en musique la « ri-lance » lagardienne (mélange de rigueur et de relance). Monti a trouvé le moyen de réécrire la partition : la méthode consiste à ne pas comptabiliser les dettes et déficits provenant des « investissements stratégiques d’avenir ». De placer certaines dépenses « hors bilan », en quelque sorte, de façon à ne pas altérer les ratios que surveillent les agences de notation et les marchés. La niaiserie de cette proposition n’échappera à personne, et surtout pas aux créanciers. S’ils n’ont que des thérapies de la sorte à offrir à l’UE, les « techniciens » peuvent repartir pantoufler chez Goldman Sachs…

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