La Banque et la Cour

La Banque et la Cour

Le dernier rapport de la Cour des comptes consacre un généreux développement à la Banque de France. Généreux par la taille, pas par les éloges. Car sa gestion « pour compte propre », ces dernières années, n’a pas été vraiment inspirée. Et la réduction de ses coûts demeure encore modeste. La chasse aux fonds propres est ouverte.

La Cour des comptes est-elle le dernier bastion de la fierté française dans l’excellence de son ordre administratif ? On n’oserait l’affirmer de la sorte, par crainte d’offenser les autres juridictions. Mais il suffit de parcourir le dernier rapport de l’institution pour mesurer la rigueur du travail, la profondeur de l’analyse, le refus du pathos pour initiés – caractéristique de notre haute administration –, la précision de la syntaxe et la perfection de la grammaire, autant d’exigences qui s’émoussent avec constance dans les publications officielles. On doit ainsi déplorer que le rapport annuel de la Cour des comptes ne connaisse qu’un succès d’estime lors de sa présentation : les médias y picorent alors les têtes de chapitre pour fustiger telle ou telle insuffisance dans la gestion publique, ou relever les satisfécits de la Cour pour la prise en compte de ses observations passées – ce qui n’est pas fréquent : contrairement aux pratiques en vigueur dans l’entreprise privée, les gestionnaires publics peuvent s’affranchir de l’avis des auditeurs, dépourvu de portée contraignante.

En somme, ils peuvent s’asseoir sur le rapport, très volumineux, qui offre donc une assise confortable, mais dont l’ampleur décourage la curiosité. C’est dommage, car ces travaux recèlent des trésors de pédagogie permettant de comprendre ce qui a conditionné telle ou telle décision de gestion : comme Boileau, les auditeurs appellent un chat un chat, sans s’exposer à la polémique, mais sans farder leur propos des enluminures qui calment ordinairement la bonne conscience des rédacteurs, sans éclairer pour autant le lecteur. Le signataire doit avouer qu’il n’a pas lu l’intégralité du dernier millésime ; mais la seule partie du rapport consacrée à la Banque de France mérite le détour.

La Banque de France fragilisée

Dans son préambule, la Cour rappelle son rapport thématique (sévère) de 2005 et souligne que certaines de ses recommandations d’alors ont été suivies de « réformes délicates et indispensables ». Notamment sur le terrain des effectifs, considérablement plus nombreux que ceux des homologues européennes de la Banque, outre le fait que les personnels sont très convenablement rémunérés : longtemps les parents ont encouragé leur progéniture à postuler à la Banque de France, pour le confort de la carrière qui les y attendait. La Banque a donc réduit sa voilure, même si « la maîtrise des charges » doit être améliorée, selon la Cour, notamment par une éclaircie dans ses implantations territoriales (son réseau est le plus dense d’Europe et sa productivité jugée mollassonne). Mais la partie la plus intéressante concerne la gestion financière, celle qui est laissée à la discrétion de la Banque, c’est-à-dire non soumise aux décisions de politique monétaire de la BCE (dont le rapporteur précise que son analyse ne relève pas des attributions de la Cour, comme s’il regrettait de ne pouvoir la critiquer…). La critique est pourtant implicite pour ce qui est de la décision, par la Banque, de constituer un portefeuille obligataire, sur ses excédents structurels de ressources (provenant de l’émission de billets et des dépôts des banques commerciales), donc par la transformation de disponibilités de court terme en titres à long terme. Le portefeuille en cause est surtout constitué de créances émises par les pays de l’Eurozone aujourd’hui en grande difficulté, qui présentent l’avantage d’offrir un rendement confortable, voire usuraire, du moins tant qu’il est payé… Ce même portefeuille a été gonflé par le produit de la vente d’une quantité importante d’or : 589 tonnes exactement, entre 2004 et 2009. Une stratégie conforme à l’accord conclu avec le gouvernement en novembre 2004, visant à alléger le stock métallique, non productif d’intérêts, pour tirer du rendement de son replacement. Afin de couvrir les charges d’exploitation et… de servir à l’Etat des dividendes plus croustillants. Car l’Etat est l’unique propriétaire de la Banque ; si le gouvernement ne peut interférer dans la politique monétaire, il peut faire valoir ses prérogatives d’actionnaire dans les domaines non couverts par « l’indépendance » du Gouverneur. Force est de constater que le délestage de métal n’a pas été une décision de gestion très inspirée, au vu de l’explosion des cours qui a suivi. Surtout qu’une part non négligeable a été replacée en titres… britanniques, depuis lors revendus avec une perte de change gratinée.

Dans sa composition actuelle, le portefeuille « pour compte propre », qui a vocation à être conservé jusqu’à l’échéance des titres, est truffé de papier grec, irlandais, italien, portugais et espagnol. Lesquels n’ont fait l’objet d’aucun provisionnement, en dépit des doutes sérieux qui pèsent sur leur remboursement au nominal. S’il devait en résulter des pertes, ces dernières seraient intégralement supportées par la Banque elle-même, et non partagées avec ses homologues de l’Eurozone, comme celles qui résulteraient (ou plutôt, résulteront), des achats réalisés sur instruction de la BCE. Bref, le bilan de notre institut d’émission a enflé comme la grenouille de la fable, mais la qualité de ses actifs laisse craindre des lendemains difficiles – pour rester poli. La Cour recommande donc un renforcement vigoureux des fonds propres de l’institution : un nouvel effort en matière de gestion des coûts et une moindre générosité en termes de dividende. Croisons les doigts pour que ces mesures soient suffisantes et que l’Etat ne soit pas contraint de recapitaliser la Banque.

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