La BCE se lâche

La BCE se lâche

La démarche de la BCE diffère de celle de la FED, mais les résultats sont comparables : une création monétaire massive. Au profit des banques, qui devraient en faire un usage égoïste : couvrir leurs propres engagements et spéculer sur les marchés. Les théoriciens devraient bientôt pouvoir observer in vivo une formidable trappe à liquidité.

Il n’est pas nécessaire de recourir aux sondages pour vérifier cette proposition : le Père Noël est nettement plus généreux avec les familles prospères. En tout cas, une preuve éclatante en a été délivrée l’année dernière, un peu en avance sur le calendrier de la tournée réglementaire du traîneau : les banques européennes ont reçu un cadeau somptuaire de la part de la BCE. Autant de crédit qu’elles en souhaitaient, à échéance de trois ans et au taux amical de 1%. Devant une telle aubaine, les établissements ont souscrit une enveloppe de 489 milliards d’euros, pas loin du montant global de leurs dettes venant à échéance cette année (600 milliards environ). La Banque centrale européenne emprunte ainsi aux voyagistes leur formule all inclusive, qui connaît un franc succès : le bar est ouvert sans limitation, jusqu’au coma éthylique du vacancier, si telle est son ambition.

Il est encore un peu tôt pour connaître l’emploi que les banques feront de ce torrent de liquidités. Mais on sait déjà ce qu’elles n’en font pas : le placer sur le marché monétaire, c’est-à-dire le prêter, à très court terme, à celles de leurs consœurs qui en ont besoin pour équilibrer leur balance quotidienne. Cela signifie très clairement que les facilités accordées au secteur par la Banque centrale ne renforcent pas la confiance mutuelle des établissements de crédit. Au contraire, semble-t-il : peu de temps après l’attribution, les dépôts bancaires à la BCE dépassaient les 450 milliards d’euros – record historique depuis le début de l’ère chrétienne. Comprenons par là que les banques préfèrent mettre leurs disponibilités au coffre de Francfort, moyennant une rémunération rachitique de 0,25% (soit le tiers du taux EONIA moyen de décembre dernier, qui est le taux monétaire au jour le jour) : ramené à l’année sur les sommes en cause, le manque à gagner s’élève quand même à plus de 2 milliards d’euros, ce qui rend la frilosité plutôt coûteuse…

La bulle des bilans

Une nouvelle étape vient ainsi d’être franchie par la BCE, sous le cardinalat récent de Mario Draghi – ex-apôtre de Goldman Sachs, grand-prêtre du temple de la finance mondiale. Ce n’est pas que son prédécesseur Trichet se soit montré aussi orthodoxe qu’il le prétendait : à la fin de son mandat, il a été contraint de faire acquérir, par l’Institut d’émission, des quantités significatives d’emprunts souverains de l’Eurozone. Sans contrevenir formellement à la règle statutaire, interdisant à la Banque centrale de financer directement les Etats nationaux : s’agissant d’achats sur le marché secondaire, ces interventions entrent dans la catégorie des opérations de politique monétaire dites d’open market, censément destinées à réguler les taux longs et la parité externe de l’euro. Mais au cas d’espèce, il s’agit d’une « régulation » au bulldozer : le bilan de la BCE était d’environ 1 350 milliards d’euros au printemps 2008, avant le déclenchement de la crise ; le 23 décembre dernier, il s’établissait à… 2 730 milliards. Si bien qu’au final, la stratégie de notre Banque centrale n’est guère différente de celle des Etats-Unis, qui a également fait exploser son bilan par le biais du quantitative easing, c’est-à-dire la monétisation directe de la dette fédérale.

Chez nous, la monétisation est indirecte, par le financement des banques commerciales qui prêtent aux Etats : la méthode est ainsi supposée régler le problème de solvabilité des unes et des autres. En d’autres termes, le bonneteau se poursuit. C’est ainsi que les marchés financiers ont gagné un regain d’assurance, juste après Noël, lors de l’émission de bons à court terme par l’Italie. Miracle : le taux des bons 6 mois s’est transigé à la moitié de celui qui prévalait fin novembre. Pour s’établir tout de même à… 3,25%, un taux supérieur à celui que n’importe quel pékin peut obtenir pour financer sa bagnole. Pour une échéance aussi courte, et donc théoriquement peu risquée, l’opération est pain bénit pour les banques, qui empruntent à 1% et replacent à 3,25%. Si cette situation pouvait perdurer, le système financier finirait par retrouver la santé, grâce au tribut prélevé sur les contribuables (en supposant, bien entendu, que ces derniers puissent et veuillent en assumer durablement la charge). Mais s’agissant d’emprunts à plus longue échéance, le scénario a été tout autre : sur le 10 ans, Rome a dû consentir un taux de 6,98%. Certes, c’est moins que le 7,56% accordé un mois plus tôt. Mais c’est encore prohibitif. Un tel niveau témoigne de la persistance (logique) d’une défiance aiguë à l’égard de l’Italie, qui met à mal les espérances exprimées par l’Institut d’émission. Selon lesquelles les banques pourraient utiliser leurs lignes de crédit pour acquérir en masse les émissions souveraines de l’Eurozone. Apparemment, c’est raté. Comment vont-elles donc employer cet argent ? On peut ici émettre quelques hypothèses : pas vraiment dans l’économie productive, où le risque s’accroît d’autant plus qu’une récession générale se profile en Europe. Pas vraiment dans le crédit à la consommation, car la signature des ménages se dégrade à vive allure. Elles vont en conserver l’essentiel, de cet argent. Pour honorer leurs propres dettes et faire joujou sur les marchés, où elles croient leur risque mieux maîtrisé. Elles vont ainsi participer activement à l’ouverture d’une énorme trappe à liquidité. En général, un tel scénario ne prévoit jamais un happy end…

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