La BCE se lâche

L’environnement actuel continue de véhiculer son lot de contradictions dans la gestion publique. Et la position de la Banque centrale ne vient pas simplifier les choses : tous veulent agir à la fois sur l’offre et la demande, ce qui est finalement assez ambitieux. Même si les banques regorgent de cash sans l’utiliser.

Aucun doute que notre compréhension du monde s’améliore dans tous les champs de la connaissance. Mais chaque avancée significative s’accompagne généralement de nouvelles incertitudes, de nouveaux questionnements qui mettent à mal les acquis et renvoient « le bout du tunnel » à des distances inaccessibles. Pour le même type de phénomènes, les astrophysiciens souffrent moins, apparemment, de la remise en cause assez régulière de thèses validées par la communauté scientifique. Il n’en est pas de même dans des domaines assez éloignés des sciences dures. La climatologie, par exemple, qui a fait l’objet d’un véritable kidnapping par une faction « catastrophiste » (et nombreuse), laquelle recommande des actions politiques qui excèdent largement le cadre de la précaution. Il est certes avéré que l’évolution naturelle du climat génère des dégâts préoccupants, que le sapiens contribue à aggraver plus qu’à corriger. Il est également avéré que l’Homme a pris des libertés pour « cochonner » son environnement, mais dans la plupart des cas, il est prêt à corriger le tir et à réparer ses outrages – d’autant que le business vert et porteur de généreuses promesses.

Sur ce terrain, la situation est grave mais pas désespérée (du moins pas encore). Ce n’est pas vraiment le cas sur le plan économique, marqué par la plus radicale des confusions, au point de faire cohabiter, au sein de plusieurs Etats, deux approches diamétralement opposées de la gestion publique – c’est-à-dire normalement non compatibles. Le retour espéré à des budgets au profil « Maastrichtien » suppose d’élaguer les dépenses et de doper les recettes. Mais cette voie favorise la récession au moment où l’on compte sur l’activité pour réduire la dette nationale. Un contexte schizophrénique, qui demande d’enfoncer en même temps l’accélérateur et la pédale de frein. Il en résulte de curieuses stratégies de la part des Banques centrales, la nôtre ayant récemment dévoilé ses batteries et précisé ses attentes à l’égard des Etats-membres, en termes de politique budgétaire.

En quête d’expertise

On ne s’étonnera pas de découvrir, en bonne place de la presse financière professionnelle, une publicité pour un stage de gestion de haut niveau. Principalement consacré à la gestion monétaire et obligataire – les titres de dette constituent aujourd’hui le gisement le plus profond en matière de gestion, donc le terrain de jeu privilégié pour la spéculation sophistiquée, celle qui exige plus que des spécialistes – il faut des experts. « Personne ne croit aux experts mais tout le monde les écoute », prétend Auguste Detoeuf (le fondateur d’Alsthom) dans les « Propos de confiseur » , ce recueil d’aphorismes qui trône dans le bureau de tous les entrepreneurs de France et de Navarre. Du reste, la saillie est encore plus pertinente aujourd’hui, s’agissant de la gestion financière. Car la BCE s’est engagée en territoire inconnu, avec un taux de dépôt négatif – les banques doivent payer 0,20% pour déposer leur cash auprès de l’Institut d’émission. Indéniablement, les taux courts vont baisser, ainsi que le cours de l’euro. Assez modérément, si l’on en juge à l’évolution récente. Et il ne semble pas que les banques distribuent davantage de crédit à l’économie réelle, en dépit des incitations (négatives) à ouvrir les cordons de la bourse. Il semble bien que toutes attendent l’étape suivante, le Quantitative Easing, qui aura pour objet de nettoyer leurs bilans en renvoyant leur papier pourri dans les livres de la BCE. Chacun pour sa pomme. Un aspect de l’évolution du système que Detoeuf avait pressenti, comme en témoigne cette intervention publique du 1er mai 1936 (X-crise) : « Le libéralisme nous a donné de bien mauvaises habitudes. Il a sanctifié l’égoïsme. En bénissant le succès personnel comme l’élément unique et nécessaire du bien-être général, il a détruit la notion de devoir social ». Pas un mot à changer pour laisser à ces observations toute leur actualité.

Que veut Draghi ? « Nous sommes face à une configuration – croissance faible, inflation faible, dette et chômage élevés – qui ne peut être résolue que par une action concertée sur la demande et sur l’offre », a déclaré le président de la BCE.

Et de prêcher pour une ligne budgétaire globale de la zone euro, consacrée à l’investissement public, alors que France et Allemagne se sont prudemment retranchées derrière l’investissement privé. La aussi, les positions de la Banque sont ambitieuses, sinon téméraires. Mais rien ne garantit qu’elles verront le jour.

En attendant, il est aisé de critiquer les gouvernements pour leur attitude laxiste face aux déperditions de revenus qu’ils subissent. De nouveau, une ONG (One, fondée par Bono, leader du groupe de rock U2) met en avant ce chiffre sous le nez du prochain G20 : la « fraude » mondiale pèserait dans les 1 000 milliards de dollars – tout confondu : à savoir fraude fiscale proprement dite, corruption et blanchiment d’activités pénalement prohibées. Une part significative du PIB mondial mais difficilement vérifiable, et à ce titre probablement inférieure à la réalité. Il en résulte que faute de tenter de capturer dans la violence des revenus qui échappent à leur administration (efficace ou non), les Etats s’en remettent à la pseudo « neutralité » technocratique des Banques centrales, pour appliquer des politiques monétaires tellement sulfureuses qu’Al Capone lui-même ne les eût pas désavouées.

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