La BCE sur le pont

Après avoir longtemps tergiversé, la Banque centrale européenne s’est décidée à intervenir. Afin de stimuler l’offre de crédit et de peser sur le cours de l’euro. Des mesures significatives et habilement orchestrées. Dont les effets dépendront de la réaction des banques, seule courroie de transmission de cette politique.

Elle était attendue dans la fébrilité, la dernière réunion du Comité de la politique monétaire de la BCE. Certes, cela fait maintenant plusieurs mois que chaque réunion suscite la même impatience, tant dans les milieux politiques que sur les marchés financiers. Tous exhortaient la Banque à renoncer à la parole pour des actes. Il est vrai que les derniers mois ont été marqués par les atermoiements récurrents de l’Institut d’émission. Lequel prêchait régulièrement l’attente de nouvelles statistiques afin de voir confirmée la tendance générale. En tout cas, ses prévisions du début d’année se trouvent déjà démenties : la croissance européenne est plus faible qu’espéré, ainsi que la hausse des prix, qui continue de décliner au voisinage de zéro dans pas mal d’Etats-membres, et autour de 0,5-0,6% en moyenne annuelle glissante dans la Zone. On est donc très loin de l’objectif des 2%, niveau d’inflation considéré comme optimal par la plupart des grandes Banques centrales.

Autant il est aisé de terrasser une inflation galopante – il suffit de fermer le robinet des liquidités et d’imposer des taux d’intérêt massacrants, ça marche à tous les coups -, autant il est extrêmement périlleux de se laisser dériver en terrain déflationniste. Car dans ce cas, même des torrents d’argent frais ne garantissent pas le retour à meilleure fortune. Il suffit d’observer le résultat des pratiques américaine, anglaise et japonaise : alors même que la déflation ne s’était pas installée, la création monétaire massive n’a produit, jusqu’à ce jour, que des résultats mitigés. Positifs en termes de PIB, certes, mais plutôt modestes. Très décevants, en tout cas, en regard des moyens mobilisés. Comme aucun de ces pays n’a (encore ?) subi les dommages collatéraux que la théorie monétaire promet à ceux qui abusent de la planche à billets, sans que l’on sache vraiment pourquoi, la tentation est grande, pour les Banques centrales plus timorées, de s’adonner à des pratiques sulfureuses.

Un plan musclé

Sous la direction de Mario Draghi, la BCE n’est pas suspecte de cultiver l’orthodoxie scrogneugneu. Quiconque a fait ses classes chez Goldman Sachs s’est nécessairement familiarisé avec la hardiesse dans l’ingénierie financière. Mais au cas d’espèce, la voix de l’Allemagne est prépondérante. Et Berlin demeure attaché à la vision rigoureuse de la Bundesbank. Cette dernière a récemment accepté de mettre un peu d’eau dans son Riesling, en admettant que les risques déflationnistes devaient être combattus par la politique monétaire. Mais pas par n’importe quel moyen : il ne saurait être question d’adopter le quantitative easing à l’américaine – c’est-à-dire le rachat, par la Banque, de créances souveraines. Car ce serait inciter les Etats décavés à relâcher la rigueur qui leur est imposée, alors que le dogme allemand n’a pas changé : les pays surendettés doivent se serrer la ceinture jusqu’à ce qu’ils retrouvent les normes de la solvabilité. Quels que soient les sacrifices imposés aux populations. Les exigences teutonnes passent pour tyranniques aux yeux de nombreux Etats – et elles le sont assurément. Toute la question est de savoir si le jeu en vaut la chandelle. En d’autres termes, si l’option de l’austérité permettra de résoudre le problème : là, les doutes sont permis. Des doutes sérieux. Mais il faudra encore bien des souffrances citoyennes avant de connaître la réponse.

Ainsi donc, la BCE avait à résoudre une équation à deux contraintes : d’abord, dynamiser l’économie et prévenir la déflation. Ensuite, ne pas désespérer l’Allemagne par ses mesures non conventionnelles. La Banque a donc décidé d’intervenir sur tous les leviers compatibles avec ces contraintes, de façon à créer un choc psychologique, afin que chacun puisse s’exclamer : enfin, la BCE prend les choses en main ! La stratégie retenue vise deux objectifs. Le premier est de relancer la distribution de crédit, le second de peser sur le cours de l’euro. L’arme traditionnelle est celle des taux : elle réduit son taux principal de refinancement (refi) de… 40%, ce qui est considérable en pourcentage mais un peu moins spectaculaire en nominal (de 0,25% à 0,15%). Jusqu’à maintenant, la ressource des banques était très bon marché ; elle est désormais très très bon marché. Et pour encourager davantage les établissements de crédit à consentir des prêts et à alimenter le marché interbancaire, leurs dépôts auprès de l’Institut d’émission ne seront plus (maigrement) rétribués mais sanctionnés au taux de 0,1%. On l’a compris, la mesure est essentiellement symbolique. Plus significative est l’offre faite aux banques de leur consentir de nouveaux financements, dans la limite de 7% des crédits qu’elles ont accordés aux agents privés non financiers (à l’exclusion des prêts immobiliers aux ménages). Des moyens supplémentaires à des conditions généreuses (refi + 10 points de base) pour une enveloppe de 400 milliards d’euros. Enfin, la Banque annonce un « travail préparatoire » sur le rachat d’ABS (Asset-Backed Security), issus de la titrisation de prêts consentis aux entreprises et aux particuliers, sous réserve qu’ils soient « simples et transparents » (c’est-à-dire très différents de ce qu’ils ont été dans le passé).

Le tout représente un paquet de mesures de nature à étoffer l’offre de crédit, sous réserve que les banques commerciales réagissent à la sollicitation, et qu’elles n’utilisent pas ces nouveaux fonds pour agioter sur les emprunts d’Etat (la BCE s’est engagée à en surveiller l’usage). On attendra donc patiemment les effets. Mais les Bourses, elles, ont immédiatement témoigné leur satisfaction…

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