La Bourse en fête

La Bourse en fête

Plusieurs facteurs fondamentaux sont venus conjuguer leurs effets pour dynamiser les Bourses : la constante générosité des Banques centrales, l’espoir d’une reprise aux USA et l’issue du dossier grec. Ces facteurs d’optimisme sont toutefois ténus. Et l’analyse technique ne parvient pas encore à trancher entre deux hypothèses strictement contraires…

Pour doper le moral des populations, la hausse de la Bourse est plus efficace encore que les températures inhabituellement douces pour la saison. Même ceux qui ne possèdent pas de titres se trouvent irradiés par la douce euphorie qui accompagne l’ascension du CAC 40 – l’ivresse des sommets, en quelque sorte. Car une bonne conjoncture boursière est supposée témoigner d’un climat de prospérité des affaires, un peu comme la santé du bâtiment. Le sentiment repose sur une conviction bien établie : la Bourse serait un indicateur avancé de l’activité future, grâce à ses inexplicables facultés d’anticipation. Certes, les faits viennent régulièrement nuancer l’efficacité de tels talents extralucides, ce qui permet aux marchés de s’offrir des envolées brutales ou des baisses calamiteuses, qui ne se produiraient jamais si les opérateurs étalonnaient en permanence la valeur d’une entreprise à ses perspectives de long terme. Car telle est l’échéance que les conseillers recommandent à leurs clients : en Bourse, dans le long terme, nous serons tous riches (ou bien les héritiers de nos héritiers, si les uns ou les autres n’ont pas prématurément claqué le magot).

Mais s’il est recommandé au pékin de dormir sagement sur ses positions et de rester sourd aux fluctuations, les professionnels, au contraire, ne cessent de réduire l’horizon de leurs placements. Il n’était pas rare, naguère, de conserver les titres pendant dix ou quinze ans dans le portefeuille des zinzins. Pour eux, désormais, le très long terme dépasse rarement trois au quatre ans. Et l’agiotage moderne, sous la forme du trading à haute fréquence, constitue une part dominante de la gestion professionnelle. Sauf que ces transactions robotisées ressemblent à tout ce que l’on veut, sauf à de l’investissement. Dès lors que ces dernières représentent nettement plus de la moitié des échanges quotidiens, il est permis de s’interroger sur la signification que l’on peut accorder aujourd’hui à la tendance boursière, que l’on raisonne en termes d’analyse fondamentale ou sur des critères techniques.

Un avenir incertain

Sur le plan fondamental, on est en ce moment confronté à une situation récurrente : un marché en hausse sous des perspectives baissières de l’activité économique. Dans ces périodes où les espérances de croissance du chiffre d’affaires sont médiocres, le management des firmes se focalise sur la réduction des dépenses. Sur le plan pratique, l’exercice est relativement aisé : dans une très grande entreprise, il est toujours possible de rogner sur la masse salariale, de fossoyer les unités de production les moins rentables et de différer les investissements. L’impact dans les comptes est immédiat et libère un cash flow de plus en plus élevé. On n’hésite pas alors à employer une partie de ces fonds dans le rachat de ses propres actions, ce qui permet d’améliorer le ROE, ratio fétiche des opérateurs (return on equity, c’est-à-dire le rendement des capitaux propres). En prime, une distribution de dividendes généreux entretient le moral des troupes actionnariales. Sans s’être généralisé, ce schéma de gestion prévaut depuis plusieurs années, avec les résultats que l’on connaît : des liquidités pléthoriques dans les comptes des multinationales et… une grogne croissante au sein de leur personnel. Mais une telle stratégie ne peut être durable, sous peine de compromettre gravement l’avenir. Lequel se prépare avec les investissements appropriés et des effectifs motivés.

Ainsi, deux raisons relevant du fondamental ont redonné du tonus aux marchés. La première est l’annonce de la reprise probable de l’économie américaine, hypothèse qu’il convient toutefois d’appréhender avec prudence, voire avec circonspection. Mais dans une ambiance générale depuis longtemps morose, la moindre hirondelle est promue au statut de prophétesse. La seconde est l’issue, jugée encourageante, de la crise grecque. Un thème que l’on a souvent abordé dans ces colonnes et sur lequel notre jugement ne change pas : le problème n’est pas réglé, ses conséquences sont seulement retardées. Ainsi, l’optimisme des fondamentalistes semble un peu téléphoné, même si la mansuétude constante des banques centrales, qui déversent des torrents de liquidités, est de nature à entretenir la chaudière des marchés.

Pour les chartistes, deux hypothèses sont encore possibles : ou bien nous sommes dans la dernière vague haussière (avec un pic possible sur le CAC 40 un peu au-dessus de 3 700) avant un mouvement baissier de long terme ; ou bien l’embellie actuelle est une correction qui présage une nouvelle phase de progression susceptible de durer au moins deux ans…Dans sa théorie, Elliot fait donc une réponse de Normand et les indicateurs de volatilité ne permettent pas de trancher : le niveau d’optimisme est certes élevé, mais il n’est pas entré franchement dans la zone rouge du surrégime. Bref, comme c’est souvent le cas avec les modèles chartistes, il faudra attendre que la tendance se soit nettement affirmée pour qu’elle soit détectée. En revanche, un indice plaiderait plutôt pour la fin de la dernière vague haussière : les petits porteurs sont revenus en masse sur le marché. Il s’agit probablement là de l’indicateur le plus constant depuis l’origine des Bourses : lorsque les épargnants, autrefois classés dans la catégorie « Veuve de Carpentras », se précipitent pour acheter ou vendre, c’est le signe que la tendance va s’inverser. En d’autres termes, ce sont toujours les mêmes qui encaissent les bonis. Et toujours les mêmes qui se font rincer.

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