La boussole CHF

La boussole CHF

Le système financier ne cesse de se détériorer. Mais en dépit des coups qui lui sont portés de tous côtés, il continue de résister. Jusqu’à quand ? Un indicateur pourrait donner le signal de la fin de la partie : la stratégie que devra adopter bientôt la Banque nationale suisse, pour endiguer l’afflux non souhaité de capitaux étrangers.

En dépit de leur niveau élevé d’incertitude, les prévisions des météorologistes sont finalement plus sûres que celles des économistes. Tout particulièrement pour les événements extrêmes. Le déplacement d’une tornade, par exemple, ne peut être établi avec précision. Mais il est possible de se prononcer avec certitude sur les chemins qu’elle n’empruntera pas. Tandis qu’une tornade financière peut frapper partout en même temps. Et nul ne peut prédire à quel moment exact elle se déclenchera, même si les observateurs disposent d’une quantité d’indices précurseurs, tout aussi frappants que concordants. Voilà déjà un bon moment que s’accumulent les facteurs suffisants pour la formation d’un splendide vortex : la planète est submergée par la dette tant publique que privée ; l’activité est partout en panne ; le système financier est sinistré ; les autorités ne savent manifestement plus à quel saint se vouer ; les populations commencent à manifester bruyamment leur désarroi. Avec des tels ingrédients dans le shaker, tous les éléments d’un cocktail explosif sont réunis. Et bien que chaque jour, ou presque, apporte son lot d’événements susceptibles de constituer un bon détonateur, cette soupe instable n’a pas encore débordé du chaudron.

Il nous faut pourtant rappeler ici nos multiples vaticinations antérieures : il est complètement irréaliste d’envisager un happy end au scénario en cours, déclenché avec la crise des subprime, mais dont le décor ténébreux était depuis longtemps planté. La question qui se pose désormais, c’est d’essayer de deviner d’où peut venir le signal annonciateur de la tempête. Celle dont il faut attendre des conséquences ravageuses sur les marchés d’actions et d’obligations, sur les établissements financiers, quelle que soit leur taille, et sur les monnaies : il faudra bien que les grandes devises supportent, à un moment ou à un autre, les conséquences des stratégies très sportives de leur institut d’émission (c’est-à-dire le recours massif à la planche à billets, qu’il soit ostensible et revendiqué, comme aux Etats-Unis, ou pratiqué sous le comptoir, comme en Europe).

La Suisse assiégée

C’est précisément sur le terrain des monnaies que l’on pourrait relever le meilleur signal d’alarme, de la même façon que l’intensité des fumerolles sur le cratère renseigne sur l’activité à venir du volcan. A ce jour, l’euro perd du terrain face au dollar, sous l’effet de l’état d’alerte permanent sur les dettes souveraines de l’Euroland. Pourtant, sous l’angle d’une analyse objective, la signature des Etats fédérés d’Amérique est plus suspecte encore que celle des Etats non fédérés d’Europe. Ce pourquoi la presse financière anglo-américaine ne cesse d’enfoncer le clou à chaque occasion de dénigrer l’euro : sans que l’on puisse invoquer un « complot » contre la devise européenne, il n’est pas douteux que tout ce qui l’affaiblit est pain bénit pour la préservation du statut privilégié du dollar, sans lequel le billet vert de l’Oncle Sam serait au tapis depuis longtemps. Ce n’est ni du côté du yen, ni de celui du yuan que l’on peut espérer obtenir des indications : à ce jour, le Japon est l’Etat le plus endetté du monde et confronté à la stagnation depuis presque vingt ans. La Chine est encore complètement dépendante : de ses clients, américains et européens pour ses flux commerciaux ; de ses débiteurs, principalement yankees, pour ses réserves de change. La chute du dollar ferait très mal à la Banque centrale chinoise, si elle intervenait avant que ses avoirs considérables en bons du Trésor US n’aient été partiellement arbitrés ou largement couverts contre ce risque.

En fait, c’est peut-être au sein de l’Europe (géographique) que l’on pourrait disposer de la meilleure sonnette d’alarme, ou de nos oies du Capitole, si l’on préfère. Avec le retour du franc suisse (CHF) comme camp retranché des capitaux en mal de sécurité. Déjà, voilà peu de temps, la Banque nationale suisse (BNS) avait imposé un cours maximal du franc contre euro. Avec succès – jusqu’à maintenant, à tout le moins, car la pression ne faiblit pas, avec pour conséquence mécanique inévitable de gonfler dangereusement le bilan de la BNS : les dépôts ne cessent d’affluer dans les banques commerciales helvétiques. Si bien qu’il est question d’instaurer un contrôle des changes, sous une forme déjà expérimentée en 1971, abandonnée, puis rétablie en 1974 : le taux d’intérêt négatif sur les dépôts, par une taxe trimestrielle (payée d’avance) qui en son temps grimpa jusqu’à… 12% (par trimestre, s’entend, ce qui est cher payé). Aucune disposition n’a encore été prise, au moment où ces lignes sont écrites. Mais il semblerait que certaines banques se préparent à la réintroduction d’un tel dispositif. Seulement voilà : nous ne sommes plus dans les années 1970 : le contexte de marché n’est plus du tout le même. Et la question se pose, en particulier, de la façon d’appliquer cette forme de contrôle des changes dans les banques situées à l’étranger. Selon l’avis des professionnels, ce serait un coup d’épée dans l’eau. L’ennui, pour la BNS, c’est de n’avoir pas beaucoup d’options disponibles. En tout cas, on peut établir un pronostic peu risqué : si l’Institut d’émission suisse se résout à une telle extrémité, c’est que la pression ne peut plus être contenue. Et que le volcan va se déchainer.

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