La confiance en solde

La confiance en solde

La sincérité du discours public ne cesse de se dégrader. Même les aveux de tricherie sont suspects de dissimulation. L’observation vaut également pour les banques centrales, ainsi que pour le FMI, grand mufti de la Troïka. Il en résulte une défiance généralisée qui plombe le climat économique. Et social.

A en juger au punch de la Bourse milanaise, les entreprises italiennes ont apprécié la récente décision de leur gouvernement, qui a signé un décret « en urgence » afin de leur « rembourser 40 milliards » - selon les titres repris en chœur par la presse francophone. Une telle formulation laisse accroire que l’Etat allait octroyer une aide généreuse aux firmes. Il n’en est rien : la mesure consiste tout simplement à procéder au règlement (partiel) de factures en souffrance, dont le montant global s’élèverait à environ 90 milliards d’euros. On ignorait l’incroyable rigueur de la constitution italienne, qui exige un décret chaque fois que le Trésor doit régler les fournisseurs. Pas étonnant qu’il y ait un retard aussi important dans l’intendance…

Mais en cette occasion, Mario Monti a attiré l’attention sur une particularité des comptes publics italiens : la comptabilité du pays est tenue en partie simple – comme celle de la France, du reste. Ce que confirme la réponse du Président du Conseil aux journalistes, lui demandant pourquoi ces paiements n’avaient pas eu lieu à l’automne dernier, alors que les syndicats patronaux faisaient pression en ce sens. L’explication est claire : « Ce n’était pas possible à ce moment-là, car l’assouplissement des critères européens en matière de décompte des déficits et de la dette n’était pas encore intervenu. Nous aurions alors dépassé les 3% de déficit ». Ainsi donc de grands pays tiennent une comptabilité de trésorerie, comme le marchand de marrons du coin de la rue : le résultat de l’exercice correspond au solde de la caisse. Il en résulte que les informations officielles, jugées capitales par les marchés pour apprécier la solvabilité d’un pays, peuvent se révéler complètement fantaisistes. Au cas d’espèce, le déficit public italien, étalonné à 3% du PIB en 2012, s’élève en réalité à… 6%. Et sa dette passe à la même date de 127% à plus de 130% du PIB. Sans prendre en compte les effets de l’« assouplissement des critères européens » dans le calcul de la dette et des déficits, référence étant ici faite au « Pacte budgétaire européen », signé en mars 2012 et entré en vigueur le 1er janvier de cette année – au moins pour ceux des Etats-membres qui l’ont ratifié. Il semblerait donc que ce Pacte, supposé renforcer les règles de lutte contre les déficits et l’endettement publics, autorise de nouvelles pirouettes comptables, que l’on nomme « maquillage » dans le secteur privé.

Des institutions cachotières

Notre pays étant placé dans le même environnement, il serait plus utile au pékin de connaître le montant des charges restant à payer en fin d’exercice, plutôt que l’inventaire du patrimoine des élus et la cylindrée de leur tondeuse à gazon. De fait, au fur et à mesure que se multiplient les incantations sur un nécessaire surcroît de « transparence », toutes dispositions sont prises pour déguiser la réalité dérangeante aux yeux des populations. Il en résulte que le discours public est devenu aussi peu crédible que les étiquettes « pur bœuf » des barquettes de lasagnes. La sincérité des comptes publics peut légitimement être mise en doute, dès lors que des conventions obscures permettent apparemment de glisser sous le tapis les factures de dépenses engagées, dont le paiement est immédiatement exigible.

Il en va de même pour les gardiens de la monnaie que sont les banques centrales. Non que leurs comptes soient obscurs, même s’ils ne sont guère détaillés : il serait pourtant édifiant de connaître avec précision l’inventaire de leurs actifs… Mais le terrain de la politique monétaire, laissé à la discrétion de la plupart des instituts d’émission – eu égard à leur « indépendance »-, soulève des interrogations dérangeantes. Tant la FED américaine que la Banque d’Angleterre, ainsi que celle du Japon, se sont engagées dans la voie, pudiquement baptisée « non conventionnelle », d’une création monétaire massive. Ayant pour effets, identifiés par la théorie et confirmés par la pratique actuelle, de contrarier (modestement) la récession économique, et surtout de gonfler (artificiellement) la valeur des actifs financiers – les flots de liquidités surnuméraires se déversant sur les marchés boursiers. Il s’agit donc de stratégies très risquées. Pourtant, Christine Lagarde vient, au nom du FMI, de féliciter la Banque du Japon (avec ses réserves rhétoriques habituelles) pour son projet d’inoculer l’équivalent de 1100 milliards d’euros de (fausse) monnaie dans l’économie nipponne. Ainsi, la loi de Mme le Juge de Paix de la haute finance récompense le contrefacteur. Inquiétant.

Que penser alors des banques commerciales ? Elles sont, selon les affirmations officielles, en voie de prompt rétablissement. Mais dans une conférence récente à New York, la Directrice générale du Fonds a de nouveau martelé son discours de la méthode, efficacement expérimenté pour la « résolution » de la crise chypriote. Premièrement, le système bancaire est toujours fragile – ce que l’on ne saurait ici contester ; deuxièmement, les établissements too big to fail doivent réduire fortement la taille de leurs bilans – ce qui est une évidence ; troisièmement, les établissement trop exposés doivent disparaître. Sous entendu : à la sauce chypriote. Comprenons par là que la stratégie est désormais consolidée : le surendettement des Etats ne se règlera pas par une généralisation des défauts souverains (la seule méthode orthodoxe). La purge se fera de façon non conventionnelle, en siphonnant les comptes des déposants dans les banques à sacrifier. Moralité : nos ennuis ne font que commencer.

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