La déroute des économistes

La déroute des économistes

Il faut convenir que les autorités politiques mondiales ne se montrent guère performantes dans leurs réponses à la crise. Mais les économistes démontrent aussi qu’ils sont prisonniers de raisonnements obsolètes. Qu’il s’agisse des gourous, comme Roubini, ou du staff des économistes les plus réputés de la planète : ceux du FMI.

On peut penser ce que l’on veut du récent déclassement de la note italienne. On peut estimer que la sanction est légitime au regard des fondamentaux du pays, ou que le jugement des agences est « faussé par des considérations politiques », comme l’a déclaré le Cavaliere, empêtré dans de nouveaux embarras judiciaires. En tout cas, Standard & Poor’s n’a pas dissimulé son appréciation de la « gouvernance » du pays : Berlusconi dispose d’une majorité millimétrique, et donc de marges de manœuvre étroites en ces temps qui exigent des actions hardies. Ainsi, ce ne sont pas les frasques du président du Conseil qui émeuvent les créanciers, mais l’érosion de son pouvoir. En particulier, le pouvoir de contraindre le pays aux sacrifices qu’impose la réduction de la dette. Et c’est bien en ces termes que se pose la survie du gouvernement italien : plus que jamais, la politique se fait à la Corbeille.

Un commentaire illustre bien cette nouvelle approche du monde à l’aune exclusive des cours boursiers : l’économiste américain Nouriel Roubini, rendu célèbre par son anticipation de la crise financière, nous offre son verdict sur l’Italie : l’annonce de la démission de Berlusconi « permettrait aux obligations italiennes de reprendre entre 50 et 100 points de base par rapport aux titres allemands ». Voilà une analyse représentative de la pensée économique contemporaine, d’une hauteur de vue… affligeante. Et inquiétante. Mieux vaut ne pas compter sur Roubini pour ébaucher des solutions pertinentes à la crise en cours : il a intégré l’armée de Wall Street, s’est converti à la boule de cristal et encombre désormais les médias de vaticinations de concierge et de prophéties de bastringue. Il faut certes convenir que Berlusconi collectionne les casseroles au point d’être devenu une caricature de lui-même, un fardeau pour les milieux d’affaires et un sujet de honte pour son opinion publique. Autant de facteurs qui rendent hypothétique son maintien aux affaires jusqu’au terme de son mandat (2013). Mais analyser son retrait de la vie publique sous le seul prisme du cours des obligations italiennes, c’est pratiquer la science économique à la façon d’un brocanteur.

Déni généralisé

Il semble toutefois que Roubini soit atteint du même syndrome que tous les économistes des grandes institutions. En présentant récemment sa dernière synthèse des perspectives économiques mondiales, le FMI a fait la démonstration de la vanité de l’exercice : ses modèles économétriques, un fatras d’équations dont la complexité réjouit les matheux, ne délivrent une information pertinente sur l’avenir que lorsque la mer est calme. Et que la tendance se développe gentiment – que les économistes travaillent ou qu’ils soient en vacances. C’est la même chose pour les agences de notation : leurs alertes arrivent quand l’accident est notoire, trop tard. La même logique prévaut dans l’ingénierie financière, pour la conception de produits complexes. Ceux, en particulier, qui ont donné lieu à la titrisation des crédits subprime : le risque est étalonné « toutes choses égales par ailleurs », selon l’expression autrefois employée par les économistes lorsqu’ils échafaudaient leurs thèses. L’ennui, dans les affaires humaines, c’est que les choses sont rarement égales, par ici ou par ailleurs. Et surtout, lorsqu’un facteur de désordre s’installe, les interactions entre les différentes composantes provoquent une chienlit totalement imprévisible par les modèles. On se prête donc à sourire à l’annonce, par la FMI, d’un abaissement de ses perspectives de croissance de l’activité mondiale, par rapport à ses prévisions d’avril dernier : on l’avait déjà annoncé à l’époque, sans disposer d’un modèle économétrique. Et l’on peut déjà pronostiquer que ses nouveaux chiffres seront peut-être validés pour l’année en cours (qui arrive à son terme), mais que ceux de l’année prochaine seront probablement ridiculisés.
Certes, le FMI n’a pas tort de déplorer la lenteur dans l’action des politiques : leurs atermoiements ont assurément contribué à aggraver la crise. Mais ils ne se montrent guère plus performants dans leurs recommandations. Sans doute influencés par leur Directrice générale, qui a inventé le concept de « ri-lance » (rigueur et relance simultanées), l’économiste en chef de l’institution, Olivier Blanchard (un autre Français), délivre sa feuille de route pour éviter une récession de grande ampleur. Le premier point concerne la politique budgétaire : « La consolidation ne peut être trop rapide car cela tuerait la croissance. Elle ne peut être trop lente car cela nuirait à sa crédibilité ». Bon, merci de ce tuyau de Normand. Après le ni-ni mitterrandien, voici venir le ni-ni éfémien. Le deuxième point insiste sur la nécessaire capitalisation des banques, notamment européennes, par tous moyens privés ou publics. Or, les banques concernées ne le veulent pas ; les Etats concernés ne le peuvent pas. Sauf à emprunter aux banques l’argent nécessaire à la capitalisation des banques. Une telle approche revient à nier cette dure réalité : la masse de dettes ne peut pas être remboursée. Ni aujourd’hui, ni demain, ni à la saint-glinglin. Si bien que les banques ne pourront pas avoir de bilans solides tant que la purge n’aura pas eu lieu. Enfin, le FMI recommande aux consommateurs asiatiques de se substituer à leurs homologues américains, afin de tirer la croissance mondiale. Excellente idée, à laquelle les Chinois n’ont sans doute pas pensé : quelqu’un pourrait-il transmettre le message à Pékin ?

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