La finance au pouvoir

La finance au pouvoir

C’est devenu un lieu commun d’épingler la toute-puissance des marchés financiers sur la conduite des Etats. Même le Secrétaire général de l’AMF dénonce les « pressions » qu’ils exercent sur le jeu démocratique. Mieux encore : les hommes-lige de la sphère financière arrivent directement à la tête des gouvernements. Comme en Grèce et en Italie…

Les agences de notation n’ont pas la cote ; pourtant, leur verdict est unanime, à quelques nuances près, quant à la qualité des signatures souveraines. Les experts en prospective continuent d’être charitablement respectés ; pourtant, leur verdict est souvent aussi dissemblable que la chèvre et le chou, et leurs pronostics doivent être rabotés à la hache, à-peu-près tous les trois mois, chaque fois que les statistiques viennent cruellement interposer la réalité. Un bel exemple, en ce moment, des conflits rhétoriques d’experts : la Commission européenne anticipe pour la France une croissance de 1,4% en… 2013. Alors que le Gouvernement a retenu une progression de 2% pour étalonner sa stratégie de retour à l’équilibre. Les ministres concernés par les finances du pays ont bien fait de rappeler « la détermination totale du Gouvernement à respecter la trajectoire intangible de réduction des déficits publics qu’il s’est fixée. L’engagement de ramener le déficit à 3% du PIB en 2013 puis à l’équilibre en 2016 sera donc tenu. » Bien dit : ce qui compte en politique, c’est la détermination. Seule la formulation est critiquable : c’est l’équilibre du budget en 2016 qui fait l’objet de la détermination ; pas celui du déficit… Passons. Sur le plan théorique, il est parfaitement possible d’atteindre l’objectif à l’échéance : il suffit de prélever les sommes appropriées sur le pays, en supposant que les citoyens l’acceptent, ce qui est évidemment une autre paire de manches. En foi de quoi est-il vain de se demander si ce sont les experts à 2% ou ceux à 1,4% qui auront finalement raison : tous seront très probablement dans l’erreur – et dans de larges proportions. Non que l’on ait une idée précise de ce que sera l’activité à une échéance aussi lointaine : ce serait prétentieux, dès lors que dans le contexte présent, personne n’est capable d’imaginer ce qui peut se passer simplement à la fin de la semaine prochaine. Si bien que nos exercices de popote budgétaire, consistant à réduire un chouïa le bouillon des dépenses par-ci, et à augmenter un tantinet le piment des recettes par-là, pourrait bientôt produire un brouet indigeste pour… les marchés financiers, ces dégustateurs exigeants et tyranniques de la gastronomie souveraine.

Ce n’est sans doute pas un effet malheureux du hasard si Standard & Poor’s a annoncé, « par erreur », la dégradation de la note française. L’origine de l’erreur est inconnue : distraction ou empressement du service de communication de l’Agence, rappel à l’ordre comminatoire adressé aux dirigeants de S&P, on ne saurait trancher. Mais convenons-en : une telle annonce n’était pas vraiment opportune au moment où l’Europe tente désespérément de colmater les brèches de sa solvabilité, ouvertes par l’infernale prodigalité de la Grèce et élargies par la négligence luxurieuse de l’Italie. Mais quoi qu’il en soit, le communiqué relatif à la France était bel et bien archivé, en vue d’être prochainement diffusé. Ce n’est donc pas faire preuve d’irrévérence, ni de grossièreté, ni d’irresponsabilité, que d’évoquer cette hypothèse comme une perspective envisageable, probable sinon prochaine.

Le pouvoir en direct

Les marchés financiers « font pression sur le jeu démocratique », déplore le Secrétaire général de… l’Autorité des marchés financiers, organisme dont la vocation est précisément de « réglementer, autoriser, surveiller et sanctionner » sur ces mêmes marchés. Au point de pronostiquer que les citoyens se révolteront contre leur « dictature de fait ». C’est à-peu-près le même scénario qu’un Ministre de l’Intérieur observant que les voyous font la loi, et qu’une guerre civile est ainsi inéluctable. Cela dit, M. Jouyet enfonce en la matière une porte ouverte, en avouant sans honte que l’AMF, censée être la police des marchés, se trouve complètement démunie face aux agissements des opérateurs qu’elle est supposée discipliner. Mais cet aveu vient apparemment un peu tard, car la finance s’emploie à affermir son pouvoir par d’autres moyens que les spéculations boursières.

En Grèce, maintenant que Papandréou s’est carapaté sans demander son reste, c’est Papademos qui a pris les commandes : formé au MIT, ancien professeur d’économie à l’Université de Columbia et ancien conseiller de… la FED de Boston, voilà un bon connaisseur de la sphère bancaire à laquelle, peut-on raisonnablement supposer, il ne veut aucun mal. En Italie, au Président du Conseil controversé (bien que maintenu au pouvoir pendant une éternité) succède Monti, un ancien de Yale, longtemps commissaire européen avant d’intégrer…. Goldman Sachs, le « parrain » de la finance mondiale, qui employa en son temps Draghi, devenu Président de la BCE. Si bien que les dirigeants des pays financièrement exposés se trouvent débarqués au profit de gouvernements baptisés « techniques », composés d’anciens grands banquiers internationaux, dont il n’est pas très difficile de deviner comment ils vont faire valoir leur « technicité ». Voilà sans doute qui complique le tableau pour les prochaines élections à la présidence française, dans l’hypothèse où notre pays se retrouverait dégradé avant l’échéance du scrutin. Aucun des candidats déclarés ne peut justifier d’une carrière, même brève, au sein d’une institution bancaire, même mineure. Aurons-nous ainsi la chance d’être protégés contre la colonisation par la sphère financière et d’être ainsi immunisés contre la révolution promise par M. Jouyet ? L’avenir nous le dira bientôt…

Crédit photo : Photos Libres

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