La querelle de l'euro (...)

La querelle de l’euro fort

Alors que débutaient les négociations budgétaires de l’UE, dans un climat électrique, revenait sur le tapis la question lancinante de la possible, ou probable surévaluation de l’euro. Le sujet est en effet capital. Car il oblige à affronter l’incontournable nécessité de procéder à la refondation du système financier.

Nul ne pourra s’étonner des difficultés que rencontrent les 27 pour établir le budget de l’Union : tous sont déjà confrontés à l’obligation de rogner sur les dépenses nationales. Mais la lésine dont ils font preuve témoigne aussi de leur ambivalence commune à l’égard de l’UE : chacun clame la haute importance de l’institution, mais tous rechignent à lui concéder des attributions. Ainsi que l’autorité politique et les moyens financiers qui vont avec. L’Union a de ce fait le statut de l’Oncle d’Amérique, capable de faire pleuvoir une giboulée d’euros sur les membres de la famille qui-n’ont-pas-réussi, dans l’espoir de les amener à une honnête prospérité. L’ennui, c’est que chaque membre est le tonton de tous les autres – et vice versa. L’argent ne tombe pas du ciel. Il est donc compréhensible que les mieux lotis redoutent de devoir prendre en charge une colonie de neveux impécunieux.

Pour autant, l’enveloppe du budget européen représente un enjeu modeste. Certes, 1 000 milliards environ ne sont pas rien. Mais ils couvrent sept années budgétaires successives, ce qui ramène l’ardoise annuelle à des proportions plus modestes. Dès lors, passer la nuit à chipoter le bout de gras, au milliard près, passe pour une concession excessive à l’importance anecdotique que revêt la négociation. A moins que nos chefs de gouvernement ne soient tous insomniaques. Il en résulte toutefois que les populations et les marchés en auront tiré la substantifique moelle : l’Union poursuit collectivement les stratégies individuelles d’austérité. Une position « entre deux chaises » qui ne satisfera pas les Européens enthousiastes : ils jugeront frileux les engagements de l’UE. Une position qui ne satisfera pas davantage les Eurosceptiques, qui jugeront encore trop élevées des contributions qui eussent été plus utiles dans un emploi national. Bref, contrairement à l’adage, les difficultés paralysent les initiatives plus qu’elles ne stimulent l’ambition.

La guerre monétaire

C’est dans ce climat turbulent de cour de récréation que notre Président a choisi de relancer la polémique de l’euro fort. Essuyant au passage les commentaires condescendants de quelques économistes de comptoir, qui obscurcissent plutôt le débat dans la presse spécialisée. Ces critiques sont d’autant plus critiquables que notre Président a posé le problème dans les termes exactement appropriés. Une fois n’est pas coutume, ce pourquoi il serait injuste de ne pas le relever. S’il est un sujet de discorde entre les Etats-membres, l’eurofort – ainsi transcrit pour renforcer la paronomase avec roquefort, thème récurrent de nos disputes avec les USA – l’eurofort, donc, est au cœur des préoccupations économiques des temps présents. En ce sens qu’il résulte de la guerre des monnaies, une réalité dont le signataire vous rebat les oreilles depuis au moins trois lustres. Et le problème est bien posé : dès lors qu’elle est convertible, donc librement échangeable contre d’autres devises, toute monnaie est soumise au traitement que les marchés infligent à ce qu’ils transigent – de la rente d’Etat à la carcasse de porc. Tout le monde admet aujourd’hui que les vertus équilibrantes du marché sont largement surestimées, et quelquefois dramatiquement déstabilisantes (comme sur les denrées ou… les monnaies). Ce qui est parfaitement cohérent : les marchés financiers fonctionnent au carburant de la spéculation. C’est-à-dire aux variations de prix. Il importe donc que ces derniers soient fluctuants, et de préférence avec une volatilité élevée. Une caractéristique bien embarrassante pour la monnaie, dont la première caractéristique est de représenter l’étalon de la valeur. On imagine sans peine la chienlit dans nos sociétés, si l’on soumettait la mesure du mètre, du litre ou du kilogramme, à la libre-appréciation du marché.

Convenons-en : un système où la parité des monnaies serait durablement fixe n’est pas davantage défendable. La solidité d’une monnaie repose largement sur des paramètres objectifs, que les économistes appellent fondamentaux : la sécurité politique, la performance de son appareil productif, la balance des capitaux et… la politique monétaire de sa banque centrale. Nous arrivons là au sujet qui fâche. Pour faire face au délabrement du système financier, et au constat de la ruine des institutions bancaires qui en résulte, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon ont engagé des politiques monétaires « non-orthodoxes », consistant à recourir massivement à la planche à billets. Avec pour effet la dépréciation (encore modérée) de leurs devises respectives par rapport à l’euro, car la BCE s’est montrée moins agressive dans la création monétaire. On peut toujours féliciter notre Banque centrale d’avoir été plus « raisonnable ». Au moins jusqu’à maintenant. Mais dans la guerre monétaire, il n’est pas facile de combattre avec un arc et des flèches contre des mitrailleuses. Si bien que refuser l’armement déloyal de ses adversaires, c’est condamner ses ressortissants à payer en austérité d’énormes dommages de guerre ; les adopter, c’est en toute vraisemblance amener le système à son anéantissement, par une tuerie entre belligérants. Il n’y a donc pas de happy end possible à la situation présente. Pas d’autre issue que de redéfinir de nouvelles règles du jeu pour le système financier. Dans l’esprit du bancor keynésien, où les parités sont ajustées en fonction notamment du solde des balances extérieures des Etats concernés. C’est donc à bon droit que notre Président revient sur un sujet fugitivement esquissé par son prédécesseur. Et c’est également à bon droit qu’il s’exprime sur la politique des changes. Laquelle relève bien du politique, sans qu’il soit porté ombrage à l’indépendance sourcilleuse de l’Institut d’émission.

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