La réglementation à (...)

La réglementation à la Pyrrhus

Il n’est pas possible de corriger une règle absurde par des exceptions. Si les autorités publiques opposent quelques (timides) verrous réglementaires à la sphère financière, le casino spéculatif demeure intact. Si bien que les nouvelles restrictions se perdent dans les sables ou, pire encore, renforcent la puissance du « shadow banking ». Déroutant.

Voilà un moment maintenant que les autorités politiques tentent, de-ci de-là, de limer les griffes des agences de notation. L’éternelle histoire du thermomètre que l’on casse pour échapper au constat de la canicule. Ce n’est pas pour autant que la pratique ordinaire desdites agences soit sans reproche. On a relevé dans ces colonnes, à plusieurs reprises, que le stéréotype de leur grille de recommandations aux Etats surendettés vaut condamnation de ces derniers à l’enfer éternel : en phase dépressive du cycle économique, le recours à une rigueur budgétaire intégriste tend à ralentir davantage l’activité. Donc à minorer les rentrées fiscales et ainsi aggraver le déséquilibre des comptes publics. Personne ne conteste le bien-fondé d’une gestion vertueuse, ni la nécessité de modérer le train de vie lorsque les charges fixes augmentent. Mais en matière de budgets publics, les décideurs n’ont pas les mêmes latitudes que le staff d’une entreprise multinationale, surtout lorsqu’il s’agit de réduire la voilure par gros temps.
En tout cas, les discussions relatives à un projet européen de régulation des agences viennent d’être reportées sine die, c’est-à-dire renvoyées aux calendes grecques. Rédigé par le Commissaire Barnier, le projet imposait, en particulier, la suspension de la notation de tout Etat ayant fait appel à l’aide internationale, ou « dont la notation accentue l’instabilité des marchés ». Ce qui serait revenu à priver de notation la plupart des signatures souveraines : bien des pays sont en soins intensifs et les autres sont suspects d’incuber la maladie. L’argument principal du rejet est qu’une telle procédure serait contreproductive, car de nature à « envoyer un signal négatif aux marchés ». Bon, d’accord ; mais la rétrogradation d’une note souveraine donne un « signal négatif » moins subliminal que l’abstention pure et simple des notateurs, même imposée par la loi…

De ce fait, le projet Barnier, qui a apparemment mobilisé beaucoup d’énergie à la Commission, a produit une vaine dispute sur le sexe des anges. Et ainsi évacué l’essentiel : le statut des agences et leurs modalités de fonctionnement. Ces organismes sont au service des marchés (émetteurs et investisseurs) ; ils sont totalement privés et indépendants – disons plutôt à indépendance limitée… par les exigences du client qui paie. D’évidence, les notateurs sont très utiles aux divers partenaires des grandes entreprises et aux acheteurs d’emprunts d’Etat. Il serait donc absurde de les bâillonner. Au contraire, leur mission relève d’un véritable service public et à ce titre mériterait d’échapper aux règles communes de l’économie marchande, lesquelles ne sont pas nécessairement en phase avec l’intérêt général – c’est peu dire. Les enjeux résultant de la note dépassent largement ceux de la simple cotation de la dette ; leur dimension systémique justifierait que l’on s’emploie à délivrer les notateurs de toute suspicion de partialité, de conflit d’intérêt voire d’amateurisme.

La dynamite des CDS

Une autre initiative communautaire vient au contraire de se concrétiser par un texte, adopté avec une écrasante majorité. Il s’agit de l’interdiction d’achat de CDS « nus », c’est-à-dire non motivé par la protection du portefeuille de créances correspondant. La prohibition sera applicable dès le 1er décembre, sur les marchés… européens. On rappelle ici qu’il s’agit bien de l’achat, et non – comme l’ont relaté fautivement de nombreux médias – de la vente à découvert desdits CDS : le législateur veut interdire la souscription d’une « police d’assurance » contre le défaut de paiement, à ceux des opérateurs qui ne sont pas exposés à ce risque. C’est-à-dire aux spéculateurs, lesquels perturbent méchamment le marché des taux d’intérêt et accentuent la dépréciation de dettes souveraines déjà vulnérables. En dépit des crispations suscitées par cette mesure, ainsi que des analyses erronées publiées jusqu’ en des lieux normalement immunisés contre le sophisme (le chapitre « controverses » du site des étudiants de l’Ecole des Mines de Paris, par exemple), cette disposition règlementaire est bel et bien de nature à modérer la volatilité extravagante observée sur les marchés de taux. Sans en pénaliser la « liquidité », selon l’argument préféré des zélateurs de la finance virtuelle.

Pour opportune qu’elle soit, cette prohibition soulève malgré tout quelques réserves. D’abord, la mesure ne peut être appliquée qu’aux marchés européens. Autant dire qu’il ne manque pas d’autres endroits pour poursuivre le bonneteau. Ensuite, elle ne peut, par définition, s’appliquer qu’aux marchés réglementés. C’est fâcheux, dès lors que les CDS se transigent principalement de gré à gré, sur les « dark pools » de l’OTC (marchés libres). Là où vont nécessairement aller se loger les détenteurs actuels de CDS « nus » acquis sur le marché officiel, qui sont désormais privés de toit réglementaire. On parvient ainsi à une situation paradoxale, qui résulte de la timidité coupable des autorités publiques face à l’industrie de la finance : leurs velléités de réglementation pourraient conduire à renforcer la taille des marchés dépourvus de surveillance plutôt que de les affaiblir. Et rendre plus dangereuses encore les toxines qui s’y échangent. Pourtant, il est semble-t-il devenu notoire que l’« autorégulation » des marchés est une fadaise : un tel constat devrait rationnellement conduire à l’interdiction pure et simple de toute transaction hors le marché officiel. Mais pour y parvenir, sans doute faudra-t-il attendre la survenance d’un nouveau cataclysme totalement destructeur…

Crédits photo : Photos Libres

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