La rumeur et la Bourse

La rumeur et la Bourse

Les Bourses ont semble-t-il perdu leur boussole. Les indices s’affolent dans tous les sens pendant la même séance, comme une hirondelle encagée. Bien que les premiers dégâts soient nés d’un article facétieux, démenti par le journal concerné, la rumeur a persisté, selon laquelle les banques françaises seraient au bord de l’asphyxie…

Si vous aimez les jeux de hasard, le saut à l’élastique, la roulette russe ou la traversée du Bronx en solitaire, par une nuit sans lune, vous allez adorer la Bourse des temps présents. En matière de prise de risque, il est difficile de faire mieux : Dieu lui-même serait incapable de prédire dans quel sens sera orienté le marché dans le quart d’heure qui vient, ni dans quelles proportions il est capable de se retourner brutalement. On sait depuis longtemps que les mouvements boursiers sont imprévisibles, en dépit des allégations des chartistes, ces haruspices de la finance qui triturent sans relâche les entrailles graphiques des cours. Et dont les prophéties se réalisent quelquefois, dans des proportions légèrement moindres que le simple hasard. Ou du moins, se réalisaient : désormais, ce sont des logiciels d’une complexité redoutable qui lancent les ordres, avec des objectifs qui n’ont rien de commun avec ceux d’un investisseur humain. Il en résulte que les marchés deviennent totalement indéchiffrables aux esprits les plus affutés, ainsi qu’aux analystes attentifs aux "fondamentaux", ces facteurs supposés objectifs qui conditionnent la performance de l’économie en général et celle des firmes en particulier. Cela dit, reconnaissons que les fondamentaux du moment sont à ce point nébuleux, l’information officielle à ce point suspecte, la transparence des marchés à ce point enfumée, que l’analyse de bon sens apporte plus d’interrogations que de certitudes. En tout cas, les zigzags quotidiens des indices boursiers, d’une brusquerie et d’une violence stupéfiantes, témoignent davantage d’un désarroi général que de convictions bien étayées. Les informations disponibles étant jugées peu fiables, une place de choix est désormais réservée à la "rumeur".

Une farce coûteuse

La rumeur, ce bruit qui court comme le furet de la fable, revêt en Bourse une signification particulière. Elle ne peut que très exceptionnellement se rapporter à un événement favorable, lequel repose en général sur une décision des parties intéressées : elle relèverait alors d’une indiscrétion ou d’un cafardage, c’est-à-dire d’un délit d’initié – mieux vaut en la matière ne pas se faire prendre la main dans le sac. La rumeur concerne donc ordinairement un événement inquiétant. Un événement plausible sinon probable, redouté ou espéré. La rumeur peut prendre naissance de façon fortuite ou dans une démarche délibérément malveillante. Mais elle peut aussi, comme dans le cas récent de l’attaque des banques françaises, résulter de l’empressement d’un journaliste (stagiaire ? Analphabète ? stipendié ?) à prendre pour une information authentique la fiction publiée par le quotidien Le Monde ("Terminus pour l’euro"). Le quotidien anglais responsable a rapidement démenti et adressé ses excuses aux firmes qui auraient pu être embarrassées par ce bug malheureux. Et c’est au moment où le démenti a été publié que la spéculation s’est déchaînée... Curieux, tout de même. D’autant que certaines banques asiatiques annonçaient leur décision de limiter ou de supprimer leurs concours à certaines de leurs homologues européennes, ce qu’avaient déjà fait les "money market funds" américains, gros pourvoyeurs habituels de liquidités. Pour parfaire le tableau, les autorités de plusieurs places boursières, dont la nôtre, suspendaient temporairement les ventes à découvert sur les valeurs bancaires, tout en réaffirmant la solidité inébranlable de leurs institutions de crédit. Bref, ce qui était reconnu comme une farce a quand même déclenché une purge boursière de grande ampleur. On ne sait si le mouvement relève ou non de la manipulation, mais on peut au moins en déduire une évidence : les marchés considèrent comme parfaitement vraisemblable le fait que de grandes banques puissent chuter du jour au lendemain. Dommage qu’il s’agisse des nôtres…

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