Le G 20 au paradis

Le G 20 au paradis

Les grandes nations de la planète ne sont plus d’accord pour imposer l’austérité budgétaire à un Etat impécunieux. Mais toutes étant soucieuses d’améliorer leurs recettes, un consensus vient de se former pour la lutte effective contre les paradis bancaires. Avec une efficacité probable, à une échéance raisonnable.

La présidence russe du G20 avait insisté pour qu’un sujet fût pudiquement évité lors du récent sommet de Washington : la « guerre monétaire » en cours. Donc, pas question de discourir sur la stratégie des banques centrales, la plupart d’entre elles étant du reste « indépendantes » - de la représentation politique, à tout le moins. Si bien que les participants ont préféré cautionner - avec chaleur comme le FMI, avec une moue pincée comme l’Allemagne – la décision du nouveau gouverneur de la Banque du Japon : une création monétaire pharaonique, supposée combattre la déflation rampante dans le pays. Mais suspecte d’être destinée à doper les exportations, par une dévaluation agressive du yen. En ayant programmé des achats massifs de bons du Trésor, et autres actifs beaucoup plus roturiers, l’Institut d’émission nippon se hasarde sur des territoires particulièrement risqués, pas seulement pour le Japon. Sans pour autant garantir les succès escomptés : jusqu’à maintenant, plus on fabrique de l’argent, plus il manque là où il est nécessaire. Quant à la BCE, disposée à abaisser ses taux directeurs si la déprime persiste, elle est encouragée par le ministre des Finances allemand à réduire son offre de liquidités. Alors que la politique de notre Banque est la moins expansionniste de toutes parmi ses grandes consœurs.

D’évidence, le monde continue d’être partagé en deux clans opposés : les tenants de la fuite en avant par recours industriel à la planche à billets, et les partisans d’une stricte orthodoxie qui ordonnancent l’administration de la purge jusqu’à total rétablissement des malades. Le monde continue ainsi d’être partagé entre ceux qui appellent à la stimulation de la croissance par tous les moyens, la prospérité étant supposée rétablir les finances publiques dévastées, et ceux qui font de l’assainissement budgétaire la condition préalable au retour de la croissance. Un remake de la controverse immémoriale de la poule et de l’œuf.

Dépréciation de l’austérité

Le dernier G20 a sans doute été influencé par la mise en cause opportune des travaux de Reinhart & Rogoff, deux économistes ayant établi une relation entre l’endettement d’un pays et sa performance économique. Sur la base de données statistiques relatives aux soixante dernières années, ils ont relevé qu’une dette supérieure à 90% du PIB génère mécaniquement une anesthésie de la croissance. Sauf que, dans la grille de calculs qu’ils ont publiée, le tableau Excel comporte une erreur de construction qui pollue sensiblement les résultats annoncés, sans les priver toutefois de toute pertinence. Mais le bug a permis de mettre en cause la thèse qui valide « scientifiquement » les stratégies d’austérité suivies un peu partout dans le monde, et notamment en Europe. Austérité qui fait également débat aux Etats-Unis. Au sommet de Washington, ces derniers ont usé de toutes leurs armes pour amender le projet de communiqué final : aucune mention n’a été retenue des exigences budgétaires précédemment posées. Ni de calendrier pour rééquilibrer les finances publiques. On se situe désormais sur le terrain de l’intention de faire au mieux : sécuriser la gestion souveraine, tout en stimulant la croissance – typiquement le discours ambigu du FMI et de la « ri-lance » (mariage de rigueur et de relance) prônée par sa Directrice générale. En d’autres termes, les Etats ne sont plus tenus de s’engager fermement dans la voie de l’ascèse – en tout premier lieu, les USA ; n’ayant pas autorité sur le stimulus monétaire, ils ne peuvent user que du stimulus budgétaire, sans toutefois aggraver leurs déficits et leur endettement. Sur ce thème, le G20 a offert une nouvelle définition du problème de la quadrature du cercle.

En revanche, une avancée significative a semble-t-il eu lieu en matière de paradis fiscaux et bancaires. Là aussi, les événements contemporains ont largement favorisé la tendance. L’affaire Cahuzac, d’une part, pour soutenir la « détermination » française ; les révélations dans le cadre d’OffshoreLeaks, qui demeurent toutefois rares et parcimonieuses, en dépit de la taille considérable des fichiers en cause… Quoi qu’il en soit, le contexte était favorable à des engagements un peu plus tangibles. Pour marquer les esprits, le Sommet avait même invité la Suisse, exposant ainsi à la compassion publique le repenti le plus emblématique de la planète. A ce jour, rares sont encore les Etats qui refusent délibérément de délivrer toute information sur les titulaires de comptes. Mais nombreux sont encore ceux qui traînent des pieds, suffisamment longtemps pour rendre l’attente assimilable à un refus. Dans la majorité des cas, les informations sont fournies aux autorités fiscales, sur demande expresse de ces dernières (et sous réserve d’une action judiciaire en cours, dans la plupart des cas). L’objectif annoncé est de parvenir à généraliser la règle imposée par les Etats-Unis à toute banque qui entend entretenir des relations avec son pays : la communication automatique des informations concernant ses propres ressortissants. Quand bien même une telle règle parviendrait-elle à s’imposer dans le monde entier, elle ne serait pas suffisante pour éradiquer l’évasion fiscale : restent tous les montages opaques qui permettent d’occulter l’identité des véritables propriétaires de comptes. Autant dire que le chantier est ici herculéen, car il s’agit de dévoiler le contenu d’actes dont l’intimité est protégée par les systèmes juridiques du monde entier. Les paradis bancaires vont peut-être disparaître. Mais des paradis judiciaires devraient s’y substituer.

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