Le long terme, c'est (...)

Le long terme, c’est demain

Les incertitudes du moment relèguent aux oubliettes les stratégies de long terme. Qui ne peuvent pourtant être occultées. C’est dans ce contexte que le secteur de l’assurance publie son « manifeste pour l’épargne longue ». Un plaidoyer pro domo, certes, mais bien utile pour rappeler les vertus insurpassables de l’investissement pour la collectivité.

Peut-on faire confiance aux experts ? La réponse ne coule pas de source. Car l’Histoire regorge d’exemples dans lesquels le titre d’expert n’a pas immunisé celui qui l’arbore contre l’erreur grossière, le diagnostic farfelu, voire l’aveuglement coupable. C’est sans doute que cette corporation, très représentée, compte des membres d’origines très diverses, d’aucuns n’ayant jamais vraiment exercé la discipline objet de leur expertise, ou si mal qu’il valait mieux qu’ils l’abandonnassent. On disait autrefois d’un artisan malhabile qu’il devait renoncer à la pratique de l’art pour son enseignement. Désormais, on l’oriente plutôt vers l’expertise. Il est un domaine qui offre une multitude d’avis contradictoires sur le même sujet : l’économie. On doit, pour partie, en attribuer la cause à la diversité des écoles dont se revendiquent les intéressés. Ce sont elles qui déterminent les bases, ou les préjugés si l’on préfère, des analyses de leurs adeptes. Le consommateur se voit ainsi proposer une offre très diversifiée : celle des économistes libéraux, des keynésiens et des marxistes, principalement, dans l’attente d’un courant halal qui ne saurait tarder à émerger. Un contexte très favorable à la concurrence, convenons-en, mais peu propice à l’établissement d’un diagnostic incontestable.

Voilà pourquoi l’expérience nous paraît une valeur sûre chez les haruspices de l’économie. Qui, par exemple, a délivré ce jugement redoutable : « L’Etat tout entier est une chaîne de Ponzi » ? Il est ici fait référence aux engagements pris en faveur des générations présentes, qui auront à être supportés (théoriquement) par les générations futures. Réponse : on doit ce verdict au plus grand expert vivant de la chaîne de Ponzi : Bernard Madoff lui-même, selon la narration récente du quotidien suisse Le Temps, dans un article fort intéressant sur le « bonheur d’être en prison » de l’escroc le plus célèbre de sa génération. Madoff n’est pas le seul à avoir diagnostiqué le caractère insoutenable des traites sur l’avenir que sont les promesses de retraite. Du reste, la plupart des individus en sont comme lui convaincus. Mais ils pensent, dans une majorité écrasante, que les problèmes ne surgiront que dans le long terme keynésien. C’est-à-dire quand ils seront morts. Exactement comme bon nombre des anciens adeptes de Madoff, qui avaient soupçonné la vraie nature de son succès pyramidal : ils étaient convaincus de pouvoir se carapater avant que la mécanique ne s’enraie. Convaincus de pouvoir se gaver de crème en laissant le petit-lait à des naïfs indéterminés. Fatale erreur. Ils auraient dû méditer la sentence d’un autre grand nom de la finance, Warren Buffet, qui a bâti une fortune sans (trop) bousculer la légalité : « Si vous jouez aux cartes et que vous n’arrivez pas à déterminer qui est le pigeon, ne cherchez pas plus loin : c’est vous ».

L’impératif de l’épargne longue

Les embarras du moment ont éclipsé les préoccupations de long terme, qui n’ont pourtant pas disparu. Dans la campagne électorale en cours, par exemple, la question des retraites n’est abordée que de manière allusive, comme une figure imposée. Mais personne ne croit plus vraiment que les systèmes institutionnels tiendront la rampe en l’état. Même après les dernières réformes. Ce qui a temporairement anesthésié le vieux débat entre les tenants de la capitalisation et ceux de la répartition. Un débat qui ne sera probablement jamais clos, car il n’offre pas de réponse indiscutable. Les revenus servis à ceux qui ne sont plus en activité sont, dans les deux cas, prélevés sur l’économie productive ; seules changent les modalités de versement. Si bien que les disputes à venir porteront davantage sur la proportion entre les cotisations obligatoires de la répartition et les contributions volontaires de la capitalisation.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le « Manifeste pour l’épargne longue » défendu conjointement par les assureurs français et leurs homologues italiens. Les arguments développés par ces institutionnels ne sont pas nouveaux : ce sont ceux qu’ils défendent depuis toujours. Un plaidoyer pro domo, certes, mais dont il faut reconnaître la pertinence : 1. Le taux de remplacement (pourcentage du revenu d’activité à attendre des régimes obligatoires) ne cesse de s’éroder. Le retraité devra donc disposer d’autres ressources pour protéger son train de vie. 2. La prospérité future passe par un niveau élevé d’investissements. Lesquels réclament la mobilisation de financements à long terme, dont les assureurs se sont fait une spécialité. 3. Pour l’équilibre actif/passif, clef de voûte de l’industrie de l’assurance, il faut pouvoir capter une épargne à long terme. Il est donc important de protéger, voire de renforcer, les incitations fiscales qui sont un catalyseur efficace au réflexe d’épargne. Pour les rédacteurs du manifeste, il s’agit, on l’a compris, de sensibiliser les compétiteurs politiques aux intérêts de leur propre secteur, intimement liés à ceux de la collectivité – ce qui n’est pas douteux. L’alerte n’est pas anecdotique car eux non plus n’échappent pas au schéma de Ponzi, sur lequel fonctionne la société tout entière, sans que l’on veuille toujours l’admettre. Il faut prendre en compte ce paradoxe : une compagnie d’assurances bien installée ferait de substantiels bénéfices si elle interrompait toute activité de commercialisation, laquelle consomme beaucoup d’argent. Mais une telle décision reviendrait pour elle à manger son pain blanc. Et celui de ses assurés, par la même occasion. Sans un flux ininterrompu d’épargne longue, ces derniers se retrouveraient légalement madoffisés. Le répit n’est pas permis.

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