Le prix de la pierre

Le prix de la pierre

Même si les Français ne consomment pas à crédit la plus-value latente de leur résidence, ils suivent avec attention l’évolution des prix immobiliers. Ces prix régressent en Province, mais la tendance de Paris intra muros était encore récemment haussière. Pourtant, les indicateurs sont unanimes : pour les accédants comme pour les investisseurs, c’est (beaucoup) trop cher.

On étalonnait jadis la santé du pays à la vigueur du bâtiment. Pour de justes motifs : ce secteur mobilise beaucoup d’emplois, dynamise de multiples filières et conserve la réputation de dégager des marges confortables. Construire de nouveaux logements, c’est logiquement accompagner la croissance de la population, cette nouvelle obsession des nations nanties, exposées au phénomène de vieillissement sous l’effet de maternités parcimonieuses : les bébés n’ont plus la cote. Les sociétés contemporaines se focalisent plutôt sur le prix de l’immobilier. Car on dispose désormais d’un indice assez fiable de l’embourgeoisement d’une population : le ratio de propriétaires, qui donne une assise à la « classe moyenne », ce noyau de stabilité du corps social, politiquement raisonnable et indulgent avec ses dirigeants. Pour toutes les générations de l’après-guerre, la résidence principale a constitué le premier pilier du patrimoine et, quelquefois, un facteur d’enrichissement bien supérieur aux facultés d’épargne des intéressés. Même s’il n’est pas d’usage, chez nous, de gager les plus-values latentes pour obtenir des crédits à la consommation, selon la pratique constante des Américains, des Anglais et de tous ceux qui ont dupliqué ce mode de consommation… plutôt risqué, lorsque le prix des immeubles corrige ses excès antérieurs. A ce jour, en dépit d’allégations officielles apaisantes, l’immobilier américain demeure scotché dans les profondeurs : il y a toujours un stock monstrueux d’immeubles saisis dans le bilan des banques et la situation de l’emploi demeure trop fragile pour permettre un véritable redémarrage. L’« effet richesse » qui résulte de la propriété immobilière ne permet donc plus aux ménages américains de compenser la faiblesse de leurs revenus par du crédit extrait de leur maison. En dépit des efforts méritoires de la Banque centrale pour inonder le pays de liquidités.

Corrections en vue

Rien de tel, apparemment, chez le voisin canadien. Selon la dernière livraison du Laboratoire européen d’anticipation politique (Leap2020), le marché canadien connaîtrait le même type d’excès que ceux ayant présidé à la crise des « subprime » américains. Il en résulte que les prix moyens sont devenus extravagants, notamment à Vancouver et Toronto : les prévisionnistes anticipent l’éclatement de la bulle avec un potentiel de baisse de plus de 50% sur les années qui viennent. Un scénario à l’espagnole, en quelque sorte. Plus près de chez nous, les Suisses s’inquiètent des prix atteints chez eux par l’immobilier. Pas seulement pour les difficultés que rencontrent les accédants à la propriété « locaux » – plusieurs cantons ayant été tentés de limiter ou d’interdire la construction de résidences secondaires par des investisseurs étrangers, manifestement indifférents à l’augmentation des prix. Même les gestionnaires institutionnels, comme les fonds de pension suisses, ne parviennent plus à placer leurs capitaux en immobilier, à cause d’un rapport trop faible. Lorsque le rendement locatif devient ridicule, c’est généralement le signe que les prix de transaction sont surfaits et que la bulle est promise à explosion.

Précisément, quel est le rendement locatif « normal » d’un immeuble ? En France, on doit à l’économiste Jacques Friggit (Conseil général de l’environnement et du développement durable) un travail de bénédictin sur l’évolution des prix immobiliers (depuis l’an… 1200 !), sur les tendances de long terme et la recherche de différentes corrélations entre les prix en question, les taux d’intérêt, la fiscalité et le revenu des ménages. Pour ce qui est du rendement long, il semble que la « norme » de long terme, pour l’investisseur, soit un retour brut de 6,6% sur le prix de revient, qui tombe à environ 3% (avant impôts) après imputation des frais et provisions pour entretien. Il semble peu probable que les appartements parisiens offrent actuellement un tel retour à l’investisseur. Mais il faut reconnaître que les prix de Paris intra muros constituent l’exception dans le paysage français : ils ont été les seuls à continuer de progresser sur l’année écoulée (avec, semble-t-il, l’amorce récente d’un retournement). Partout ailleurs, et notamment en Province, les prix continuent de refluer. Il faut dire que si l’on en juge au « tunnel de Friggit », qui représente le canal des prix à long terme en fonction du revenu des ménages, le marché est aujourd’hui complètement déconnecté de sa tendance historique, même en Province. L’écart est tel qu’il n’est pas extravagant d’anticiper une baisse d’au moins 30 à 35% sur les temps à venir. Ce qui serait cohérent avec la tendance de l’activité, orientée vers une déprime de longue durée. A moins que. A moins que l’« anomalie » parisienne, en termes de prix, ne témoigne au contraire, comme en Suisse, d’un comportement très rationnel de la part d’investisseurs largement pourvus en cash. Lesquels pourraient craindre un événement monétaire majeur dans l’Eurozone et préférer, de ce fait, se libérer de leurs liquidités contre de beaux immeubles, quitte à les payer « trop cher ». Une cherté relative, car ces immeubles demeureront convoités et constituent à ce titre une réserve de valeur. Alors que les monnaies en général, et l’euro en particulier, pourraient souffrir des effets délétères du recours à la planche à billets, qu’il soit ostensible (comme aux States) ou maquillé (comme chez nous). La bulle parisienne n’est donc pas nécessairement aussi exubérante, ni aussi irrationnelle qu’il y paraît.

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