Les banques au combat

En dépit de la bienveillance que leur accordent les gouvernements et la BCE, les banques européennes continuent d’évoluer dans un environnement incertain. Ponctué par les conséquences judiciaires de leurs pratiques scabreuses. Voilà maintenant que le Comité de Bâle s’apprête à durcir leur réglementation.

Les banques européennes continuent de faire l’objet de toutes les attentions. Pas seulement à cause des stress tests en cours, dont les résultats pourraient se révéler stressants pour certaines d’entre elles, si l’on en croit la rumeur. Pas seulement à cause des incertitudes qui pèsent encore sur les établissements français ayant diffusé des « prêts toxiques » aux collectivités locales : le législateur s’apprête à alléger l’ardoise des banques (merci le contribuable), et à limiter les possibilités d’action des emprunteurs lésés. Encore que demeurent des brèches largement ouvertes, faute d’une définition précise des « emprunts structurés » - ceux qui sont précisément en cause. Car selon le mode de structuration, ce n’est pas la même réglementation qui s’applique : le recours aux « swaps structurés » relève du Code monétaire et financier. Alors que les opérations de crédit, concernées par le projet de loi de validation qui amnistie (partiellement) les banques de leurs vilaines pratiques, relèvent du Code de la consommation. Autant dire que le feuilleton n’est pas clos. Pas plus que celui de la manipulation des taux et du cours des devises sur le Forex, dans lequel les banques européennes ne sont pas les seules en cause, reconnaissons-le. Enfin, un grand établissement français se trouve en conflit avec les autorités américaines, pour ses opérations en dollars réalisées dans des pays soumis à l’embargo des Etats-Unis. En cette matière, la lex americana est sans doute critiquable. Mais vouloir s’en abstraire aurait pour contrepartie la révocation pure et simple de la licence d’exploitation sur le sol yankee – hypothèse cataclysmique pour une banque d’envergure mondiale. Il en résulte que les pénalités en jeu se chiffreront probablement en milliards de dollars, un montant qui fait plus qu’égratigner le compte d’exploitation.

Le risque de taux

Les soucis ne s’arrêtent pas là. En dépit de la puissance du lobbying bancaire, qui a épargné à la corporation bien des tortures méritées, les autorités s’emploient à mettre sur pied une réglementation susceptible de prévenir le risque systémique. Il est donc forcément question, pour les établissements de crédit, de normes sécuritaires en termes de fonds propres. Quant à leur montant, d’abord, et ensuite quant à la façon de les calculer. Autant de sujets qui fâchent systématiquement la profession, dont le métier repose sur une technique qui s’apparente au miracle de la multiplication des pains : le volume d’affaires réalisables est d’autant plus important que le levier sur fonds propres est élevé. Les risques également, bien entendu, dans l’hypothèse où quelques grains de sable viennent gripper la machine – entraînant alors des pertes abyssales au lieu des profits escomptés.

Parmi les risques auxquels sont exposés les banquiers figure en bonne place le risque de taux. Car ils transforment des ressources de court terme (les dépôts de leurs clients et leurs emprunts interbancaires) en prêts de moyenne ou longue durée, consentis à taux fixe, pour une large partie d’entre eux. Tel est du moins le cas en France et en Allemagne. En cas de forte remontée des taux courts, ils peuvent ainsi être contraints d’acheter une partie de leurs ressources beaucoup plus cher que le prix auquel ils ont consenti leurs crédits : un schéma désastreux dans le commerce en général, et dans celui de l’argent en particulier. A ce jour, l’encours des crédits immobiliers des banques françaises représente environ 820 milliards d’euros, dont 85% sont à taux fixe - plutôt 90% pour la production nouvelle [1]. Nos établissements considèrent qu’une large fraction de cet encours est adossée aux dépôts à vue non rémunérés de la clientèle – les comptes étant réputés stables sur une durée d’environ dix ans. Or, le Comité de Bâle pourrait suivre les préconisations de l’Autorité bancaire européenne (EBA), qui souhaite ramener à un maximum de cinq ans la maturité théorique de ces dépôts. Il en résulte que les banques devraient alors mobiliser les contreparties appropriées pour couvrir le différentiel, ce qui représente potentiellement une grosse pincée de fonds propres. On ne sait encore ce qui résultera de l’évolution de la réglementation, mais le verdict tombera avant la fin de l’année. Si l’EBA parvient à faire valoir son point de vue, il est clair que le financement immobilier à taux variable deviendra chez nous la règle, en dépit d’une culture bien affirmée pour le taux fixe. Reste alors à souhaiter pour l’emprunteur que la manipulation du Libor ne soit plus possible…

Dans tous les cas, la BCE devrait bientôt apporter un nouveau bol d’air frais aux banques commerciales. Face aux craintes de déflation, désormais prises au sérieux par la Bundesbank, l’Institut d’émission pourrait bientôt adopter des « mesures exceptionnelles » comme le rachat d’actifs. Mais pas des titres souverains, afin de maintenir la pression de la rigueur sur les Etats-membres surendettés. Il serait au contraire question de racheter de gros paquets de prêts bancaires « titrisés », afin de fournir aux établissements de nouveaux moyens pour financer l’économie. Les banques seraient sans aucun doute enchantées d’une telle stratégie, sans être pour autant tentées d’accroître le crédit dans un contexte économique morose et incertain. En revanche, ce serait du carburant nouveau pour alimenter la chaudière sur le CAC 40. Et propulser l’indice vers les 7 000 points, comme certains prévisionnistes enthousiastes n’hésitent pas à le pronostiquer, comme réponse à la stratégie économique supposée prometteuse du nouveau Gouvernement français. Une telle hypothèse démontrerait que le président Hollande n’est pas rancunier : la finance était son « ennemie », durant la campagne ; elle est désormais sa favorite.

[1Source : L’Agefi du 13 mai 2014

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