Les Bourses en émoi

Les Bourses en émoi

Les marchés financiers sont chahutés depuis le milieu de l’été. Mais la tendance se durcit sous l’effet de « mauvaises nouvelles ». Lesquelles résultent pourtant de faits notoires depuis pas mal de temps. Les opérateurs boursiers vivent-ils sur une autre planète ? Ou bien les institutions financières sentent-elles passer le vent du boulet ?

Au fur et à mesure que le temps passe sans que des réponses crédibles soient apportées aux problèmes les plus criants, les inquiétudes s’intensifient et le désordre s’installe. Au sein des populations, d’abord, qui progressivement réagissent, sur des modes divers, aux restrictions qui leur sont imposées ou promises. Sur les marchés financiers, ensuite, où le découragement s’incruste et menace de dégénérer en panique. Autant il est compréhensible que le quidam découvre tardivement l’intensité de la crise et renâcle devant l’austérité qui en résulte, autant il est déroutant d’observer le retard à l’allumage des marchés financiers. Certes, les Bourses ont commencé à faiblir depuis quelques mois : le CAC 40 culminait à 4 100 à la fin avril, dans une insouciance saugrenue par rapport au contexte de l’époque, avant d’entamer au milieu de l’été un repli brutal, assorti d’une volatilité exceptionnelle. Une prise de conscience tardive, comme si les institutions financières – qui génèrent la plus grosse part des transactions boursières – s’étaient jusqu’alors convaincues qu’elles étaient désormais invulnérables, après avoir neutralisé les gouvernements en 2008. Epoque où les Etats les ont secourues massivement, s’endettant au prix fort sur le marché pour leur apporter des capitaux (presque) gratuits.

En témoignage de leur reconnaissance, les mêmes institutions matraquent aujourd’hui les emprunts d’Etat, propulsant les taux à des niveaux tels que les pays concernés sont saignés à blanc, jusqu’à l’insolvabilité. Et les « marchés » – les créanciers, au sein desquels les mêmes institutions sont majoritaires – n’entendent pas assumer le risque de crédit qui est le lot commun des prêteurs : s’agissant des Etats de l’Union européenne, il faudrait donc que la collectivité cautionne les membres défaillants. Au prétexte que l’industrie bancaire ne peut être soumise à des pertes dramatiques, qui emportent un risque systémique et donc des embarras majeurs pour tout le monde, y compris ceux qui n’ont ni prêté ni emprunté. Ce que l’on ne contestera pas ici : une banqueroute généralisée provoquerait assurément une chienlit générale. Mais dans ce raisonnement circulaire, les gouvernements semblent avoir été collectivement gagnés par le « syndrome de Stockholm », ainsi nommée la situation dans laquelle la victime se prend d’affection pour son bourreau. Si bien que les mesures adoptées, qui ont pour effet de maintenir la situation en l’état, aggravent les difficultés au lieu de les résorber. Car dans le monde réel, il n’est pas possible de résoudre le surendettement par de nouveaux crédits.

Une lucidité tardive

C’est pourtant le schéma directeur qui s’est imposé dès le début de la crise. Au moment où la bombe des crédits « subprime » a éclaté, il était envisageable, pour l’Etat fédéral US, d’aider au désendettement « ordonné » des ménages. Du reste, cette option a été fugitivement évoquée, avant d’être condamnée comme étant une réponse par trop « socialiste ». On connaît la suite : d’énormes fonds publics ont été alloués au système financier, entraînant une situation budgétaire calamiteuse, et la Banque fédérale a fait tourner la planche à billets. Pourtant, le problème originel de l’endettement immodéré des Etats-Unis (privé et public), qui résulte exclusivement du statut exorbitant du dollar dans le (non)système financier international, a certes été évoqué, mais rapidement marginalisé. En dépit de la volonté affichée par la présidence française du G20 de mettre cette question au rang des priorités. Ce pourquoi le Conseil d’analyse stratégique vient de publier un rapport intitulé : « Réformer le système monétaire international ». C’est un travail très honorable, plaisant à lire, offrant une analyse précise du régime actuel et de son historique : ce rapport serait très bien noté à Sciences-Po. En revanche, les propositions de réforme sont timorées, pour ne pas dire désabusées : la piste d’un recours intensif au DTS comme principale monnaie de compte et de réserve (option largement sollicitée par de nombreux pays), qui ne présente pas de difficulté insurmontable (puisque le système est déjà opérationnel), est présentée dans le rapport comme susceptible de « paraître peu à certains, irréaliste à d’autres ». Bref, il est indispensable et urgent de réformer, mais ça prendra du temps…

Ces conclusions transcrivent, à n’en pas douter, le sentiment des autorités, ce que les marchés ne pouvaient raisonnablement ignorer. Pas plus qu’ils ne pouvaient ignorer le douloureux « haircut », depuis longtemps prévisible, qui attend les porteurs de dette grecque (en particulier) : dès le premier « plan de sauvetage » européen, il était clair que l’affaire se terminerait en eau de boudin. Avec les dommages conséquents pour les créanciers, notamment bancaires. Quant à attendre des autorités américaines le miracle d’une reprise, c’est tout simplement extravagant : la situation budgétaire est bloquée et tout consensus impossible entre les factions politiques. En outre, la FED a tiré ses dernières cartouches et ne peut désormais proposer qu’une « opération twist », consistant à arbitrer ses bons du Trésor à maturité courte contre des échéances plus longues. Dans le but de faire baisser les taux longs (qui sont déjà très bas), afin d’encourager l’investissement. Un ange passe… Enfin, il faut vivre sur une autre planète pour être surpris de l’abaissement des perspectives de croissance par le FMI : tous les indicateurs annoncent bien pire. Moralité : les Boursiers n’ont pas fini de s’angoisser. Ni les marchés de dévisser.

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