Les états d'âme du FMI

Les états d’âme du FMI

Sommes-nous à l’aube d’une révolution de la pensée économique ? Il est sans doute un peu tôt pour se réjouir, mais quelques signes encourageants apparaissent. Comme cet article de deux économistes du FMI, qui ouvre une brèche dans la croyance dominante. Mais ce n’est pas encore le schisme…

En matière de foi et de morale chrétiennes, le Pape est réputé infaillible. C’est un dogme fort ingénieux pour la paix et la sérénité de la communauté concernée ; un vaccin efficace contre les velléités schismatiques – Dieu sait combien les théologiens sont sujets aux querelles byzantines. Il semble que les sectateurs de la science économique aient adopté la même stratégie vaticane. On veut parler ici des économistes qui ont voix au chapitre, c’est-à-dire ceux qui font profession de conseiller les dirigeants, ou qui œuvrent dans les organismes qui ont cette même vocation. Ils semblent avoir adopté le comportement d’adeptes zélés d’une chapelle, plus que celui des scientifiques qu’ils prétendent être. Convenons-en : en supposant que l’économie soit une science, ce qui est déjà une proposition hardie, elle ne peut être qu’une science sociale, une science molle. Et donc produire des résultats plus incertains que les mathématiques ou la physique. Mais en tout cas, l’économie n’est pas une religion.

Il en résulte ce postulat indubitable : il est interdit à tout praticien de défendre la validité d’un dogme qui ne cesse de démontrer son inanité. Tel est pourtant le cas depuis des lustres. Pourquoi ? Parce que les usages immémoriaux, et l’instinct de préservation inscrit dans les gènes de notre espèce, interdisent de cracher dans la soupe. C’est plutôt rassurant en termes de convivialité, mais dramatique sur le plan de l’avancée de la connaissance. Et accessoirement du bien-être des populations, lequel relève de l’intérêt général dont la maximisation, si l’on ne se trompe pas, est la première préoccupation de la science économique. Si bien qu’à tous les échelons de la pyramide des convertis au catéchisme dominant, depuis les bedeaux jusqu’aux cardinaux de la discipline, le mot d’ordre est religieusement respecté : pas de vagues, pas de disputatio, pas de propositions hérétiques, pas d’apostasie. Si le dogme ne fonctionne pas, c’est que la foi n’est pas assez forte : avec un surcroît d’incantations, davantage d’offrandes et une cure d’ascèse, la réalité devrait regagner le bercail que lui assigne la théorie. Et les mécréants bannis du royaume.

Un « modèle » défaillant

On exagère à peine, et la publication récente d’un article émanant de deux éminents économistes du FMI, sur le site de ce dernier mais non avalisé par l’institution – une sorte de « tribune libre » qui permet au Fonds de tâter l’eau du bain sans s’immerger -, cet article, donc, vient éclairer le confusionnisme doctrinal qui s’est répandu dans les hautes sphères de la réflexion économique. Il concerne les effets du désendettement vertueux sur la croissance. Bien que familier du sujet pour avoir, depuis des décennies, systématiquement imposé la « stratégie du choc » aux Etats surendettés, le Fonds se demande maintenant si l’austérité budgétaire n’aurait pas, sur la croissance, un effet dépressif plus que proportionnel. Alors que les modèles économétriques prétendent le contraire. Jusqu’à une date récente, les données d’expérience n’étaient pas nécessairement pertinentes : les restructurations souveraines ne concernaient que de « petits » pays. Qu’une ascèse rigoureuse (fortes coupes budgétaires, hausse des prélèvements et baisse des salaires) pouvait éventuellement rétablir, grâce à la compétitivité retrouvée de leurs exportations dans un monde en croissance. Si l’on tient pour inévitables les longues souffrances infligées aux populations, une telle approche était défendable. En revanche, le contexte est aujourd’hui bien différent : l’atonie de l’activité est universelle et le surendettement généralisé. Il n’est donc pas possible à tous les pays d’accroître simultanément leurs exportations, vu que tous sont confrontés à une baisse de la demande résultant de la contraction des revenus. Une évidence que nous avons relevée ici à de multiples reprises, sans pour autant être membre du staff du FMI. Une évidence que les plus récentes observations viennent confirmer – en particulier en Grèce : en période de crise, 1% de réduction de la dépense publique ne génère pas seulement 0,5% de contraction du PIB (modèle du FMI), mais plutôt 2%, voire bien davantage.

On ne peut que se réjouir d’une telle prise de conscience de la part du Fonds – encore qu’officieuse à ce jour ; on ne peut que saluer les déclarations de sa Directrice générale, qui encourage, sur les mêmes motifs, les Etats concernés à modérer leur politique d’austérité. Mais rien n’est changé dans l’ordonnance que le Fonds inflige aux malades : le remède exclusif relève toujours de la matraque budgétaire. Ce comportement chaotique révèle un symptôme de schizophasie, que les médecins considèrent d’ordinaire, et à juste raison, comme très préoccupant. Au cas d’espèce, il révèle plutôt l’obstination forcenée à refuser la mise en cause de la théorie dominante, qui pourtant se déglingue de jour en jour. Non, il n’est pas possible de revenir au statu quo ante ; non, il n’est pas possible d’amortir les dettes accumulées et en même temps revendiquer le développement de l’activité ; non, le modèle ancien de croissance infinie n’est pas soutenable, sous le double effet de l’expansion démographique et de l’épuisement des ressources naturelles ; non, le modèle actuel de distribution des revenus ne peut perdurer sans induire le risque d’une explosion sociale. Pendant environ deux siècles, le capitalisme de marché a, globalement, inondé la planète de ses bienfaits. Qu’il en soit remercié. Mais il est maintenant affligé de sénilité. Et l’acharnement thérapeutique ne parviendra pas à le soigner.

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