Les risques de la spécula

Les risques de la spéculation

En matière financière, les miracles n’existent pas. Les très gros profits résultent ordinairement de la prise de très gros risques, lesquels peuvent générer de très grosses pertes. Voir le cas de JPMorgan. Et le brio incontestable du jeune Zuckerberg n’empêche pas ce constat : le prix de l’action Facebook a été outrageusement surévalué.

Lorsqu’elles dégagent des profits mirifiques, les grandes banques n’étonnent habituellement personne. Pourtant, il est notoire que des résultats aussi spectaculaires ne peuvent résulter que d’opérations risquées, autrement dit de spéculations réussies. D’où ce constat : dans l’imaginaire des marchés, les grands opérateurs financiers sont nécessairement des « initiés » (ce qui n’est pas complètement faux), un statut qui les autoriserait à ne réaliser que des paris gagnants (ce qui n’est pas garanti : dans tout pari, il faut bien qu’il y ait au moins un perdant). Si bien que les Bourses tremblent lorsqu’un gros intervenant avoue des pertes proportionnelles au risque encouru, et susceptibles de mettre en péril la solvabilité de la boutique : en dépit de leur label de « trop-gros-pour-faire-faillite » et de la protection rapprochée que leur offrent les autorités, les majors de la finance ne sont pas exonérés du risque de défaut. On voit bien ce qu’il en est en Europe, malgré la grosse enveloppe de liquidités concédée par la BCE : après les interventions publiques franco-belges dans Dexia, c’est au tour de l’Espagne de venir au secours de Bankia, un établissement important, sans endiguer pour autant l’hémorragie de liquidités qu’il subit. En Espagne, l’explosion de la bulle immobilière continue de diffuser de douloureuses ondes de choc ; selon toute probabilité, les secousses ne cesseront pas avant que les pertes réelles n’aient été reconnues comme irrécouvrables (ce qui ne devrait maintenant plus trop tarder).

D’une façon générale, le système dans son ensemble est suspendu à la survenance du même événement : la liquidation du crédit. C’est-à-dire la reconnaissance comptable de cette certitude : une bonne partie des encours ne pourra jamais être remboursée. Avec les conséquences normales sur le bilan des créanciers, bien entendu, qui peuvent ainsi, d’un seul trait de plume, passer d’une aisance enviable à la ruine irrémédiable. Il semble raisonnable d’anticiper que l’année en cours enregistrera le sinistre de quelques grands noms de la finance, en priorité américains si l’on en croit les dernières prévisions du Laboratoire européen d’anticipations politiques [1]. Reconnaissons que l’actualité crédibilise ce jugement, avec les embarras présents de JPMorgan, qui a commencé par annoncer 2 milliards de dollars de pertes sur « couverture » de CDS, laissant présager que l’hémorragie n’était pas terminée. Scénario rapidement confirmé, avec une ardoise déjà évaluée à 5 ou 6 milliards (au moins). Dès lors que les milieux financiers ont eu connaissance des fragilités de JPMorgan, ils ont pu sortir leur artillerie pour pilonner ses positions : telle est l’expression de la confraternité ordinaire dans la profession…

Le mirage Facebook

Dans le contexte présent, il n’est sans doute pas très hasardeux de se risquer à la prophétie, quant au devenir des indices boursiers. Personne ne conteste le motif principal de la relative bonne tenue des marchés sur les quelques mois écoulés : il s’agit d’un effet direct de la générosité des banques centrales, qui ont déversé des torrents de liquidités dans le système financier. Sans effet notable sur la croissance, soit dit en passant. Rien ne permet d’affirmer que le recours à la planche à billets va se poursuivre, mais tout indique qu’aucune des grandes banques centrales ne va durcir sa politique à une échéance prévisible. Il n’y a donc, a priori, pas à craindre de changement de cap de la part des instituts d’émission. Mais avec une activité faiblarde, même dans les pays émergents naguère très dynamiques, les grandes entreprises ne vont pas pouvoir continuer à faire croître leurs profits par le seul jeu de la « gestion des coûts », celle qui fait aujourd’hui du travail la principale variable d’ajustement.

Un autre signal vient ici donner la température des marchés. Il s’agit de l’introduction en Bourse de Facebook. Le célèbre « social network » est, certes, une réussite éclatante. Son créateur, Marc Zuckerberg, va devenir le plus jeune milliardaire de la planète et, avec sa bonne tête de gendre idéal, il fait rêver dans les chaumières. Très bien. Mais les conditions de l’émission se sont logiquement révélées foireuses : alors que le taux de progression du chiffre d’affaires s’érode et que le taux de marge ne cesse de régresser, le prix d’introduction valorisait l’entreprise à plus de 100 milliards de dollars – soit plus de 100 fois le bénéfice de l’année dernière, comme si les profits à venir allaient continuer d’être exponentiels…On se retrouve dans la configuration psychologique classique de la fin des bulles boursières, où les opérateurs renoncent à toute lucidité quant au potentiel de leur investissement, au motif que l’on serait entré dans une « nouvelle ère » permettant de renoncer aux anciens modèles de machine à calculer. Certes, le marché a immédiatement commencé à corriger l’erreur d’appréciation manifeste, mais on peut s’étonner de la tardiveté de la réaction. Et du retard dans la publication du consensus des analystes, estimant le prix « normal » de Facebook à 9,59 dollars, quand le titre a été introduit à 38 dollars ! C’est aussi le signe de la fin d’une bulle : quand le marché devient un coupe-gorge manifeste. Même si l’organe de contrôle, la SEC, a estimé devant le Sénat qu’il y a « beaucoup de raisons d’avoir confiance dans l’intégrité des marchés ». Un ange passe…

[1leap2020.eu

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