Notation : les agences

Notation : les agences en défaut

Les agences de notation suscitent une fronde grandissante, surtout de la part des Etats dont elles déprécient la signature. Il n’est pas douteux que leur pouvoir soit surfait, d’autant qu’elles ont déjà péché par incompétence. Et elles continuent : à ce jour, tous les grands pays du monde bénéficient d’une note bien supérieure à leurs mérites.

Ainsi donc la France a-t-elle « adopté de nouvelles mesures anti-déficit ». Des mesures réputées « définitives », on s’en doute : après un bon demi-siècle de finances déséquilibrées, il est en effet urgent de mettre un terme à la dérive. Que ce soit ou non le moment opportun, en termes de conjoncture, est une autre question, sur laquelle le gouvernement n’a guère le loisir de s’appesantir. Car les agences de notation ont été sacrées arbitres des élégances, et leur jugement est sans appel : sans amorce d’un retour vigoureux vers l’assainissement des comptes, la signature du pays sera irrémédiablement dépréciée. A partir de ce moment-là commence l’enfer, comme chacun a pu le constater ces derniers temps : aucun Etat au monde n’étant à l’équilibre budgétaire, tous doivent emprunter pour boucler leurs fins de mois, et emprunter de nouveau pour rembourser les dettes anciennes qui arrivent à maturité.

Pour ceux dont la solvabilité se dégrade, l’accès au marché devient redoutablement coûteux, ce qui accroît encore la difficulté à restaurer les comptes – et dans certains cas rend l’exercice impossible. Le cas de la Grèce a été le premier exemple criant ; ce n’est qu’au prix de « sauvetages » successifs, initiés sans entrain véritable de la part des autres Etats-membres de l’UE, que l’illusion a été maintenue. Mais personne ne peut croire un seul instant qu’Athènes puisse être un jour en mesure de régler son passif, que ce soit aux banques, à la Banque centrale, aux particuliers ou aux autres pays venus à la rescousse. La messe est dite. La charge supplémentaire ainsi imposée aux frères en Europe fragilise ces derniers et aggrave leur santé déjà précaire, même celle des nations réputées les plus solides. Car au fur et à mesure que l’épidémie se répand, les pays antérieurement contributeurs au fonds de soutien ne peuvent plus assumer leurs engagements. Au contraire, ils deviennent demandeurs. Et pour des montants qui s’accroissent de façon exponentielle. C’est le fameux « effet domino », que rien ne peut entraver dès qu’il est enclenché.

Une notation bienveillante

Les agences de notation ont été beaucoup critiquées, et souvent pour de justes motifs. Le principal grief que l’on puisse formuler à leur égard, c’est celui de l’incompétence. D’abord, pour avoir autrefois accordé une note à des produits financiers résultant de la titrisation de créances multiples et diverses, sur lesquelles il était techniquement impossible de porter un jugement. En leur délivrant le label de l’excellence, le prestigieux « Triple A », les agences ont trahi la confiance des investisseurs, qu’ils fussent particuliers ou institutionnels. Sur la base de ce seul critère, tous les notateurs auraient dû être déchus de leurs prérogatives, pour faute lourde et impardonnable. Sans doute ces pratiques ont-elles, depuis, évolué vers une approche plus rigoureuse. D’ores et déjà, l’un d’entre eux a récemment décliné l’offre d’évaluation d’un produit complexe, au motif qu’il ne disposait pas des éléments permettant un jugement fiable. C’est une énorme avancée.

Mais en matière de notation des signatures souveraines, les agences continuent de porter des jugements ésotériques. Pour une raison simple, que personne n’ignore depuis la signature du traité de Maastricht (en 1992…), lequel a posé les conditions techniques de la saine gestion publique : la double condition d’une dette et d’un déficit respectivement inférieurs à 60% et à 3% du PIB. On l’a déjà exposé dans ces colonnes, de telles normes ne sont pas innocentes : elles constituent la limite au-delà de laquelle l’Etat devient prisonnier d’une spirale d’endettement (sous conditions de taux d’intérêt modestes et d’une croissance moyenne de… 3% par an !). Voilà belle lurette que l’écrasante majorité des nations a franchi la ligne jaune. Il en résulte qu’aucun Etat ayant dérogé à l’un seul de ces critères ne devrait aujourd’hui être crédité du AAA – tel est en particulier le cas de la France.

D’une façon générale, les « grandes nations » bénéficient de notes irréalistes, même si le principe d’évaluation transcrit une approche relative (la qualité d’une signature s’apprécie par rapport à celle de toutes les autres, et non dans l’absolu). Des notes irréalistes, quand bien même, comme celle des Etats-Unis, auraient-elles subi un début de décote. Il en résulte que l’investisseur privé n’a pas besoin des agences pour se forger une opinion sur les obligations souveraines : il lui suffit de suivre les statistiques publiques des pays concernés. Et de se rappeler qu’avec une dette supérieure à 85% du PIB et un budget déséquilibré, un Etat ne peut plus remonter la pente. Sauf à dépouiller ses contribuables, s’ils acceptent de se laisser faire. Ou à bénéficier d’une croissance miraculeuse, hypothèse que même la méthode Coué ne parvient plus aujourd’hui à valider.

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