Budget à l'estime

Budget à l’estime

Dans la période de crise que nous traversons, la préparation du budget n’est pas un exercice aisé. D’autant que la proximité d’échéances électorales n’encourage pas la sincérité. Il en résulte un projet de loi de Finances pour 2012 qui rapetasse les guenilles budgétaires. Sur la base d’anticipations de croissance établies sous euphorisants.

Pour bâtir un immeuble, il faut d’abord des urbanistes, ensuite des architectes et enfin des maçons. Pour bâtir un budget, c’est à-peu-près la même démarche : d’abord une vue d’ensemble afin de s’insérer correctement dans le contexte mondial ; ensuite des plans détaillés pour sécuriser l’ouvrage ; enfin de l’habileté technicienne pour assembler l’édifice. En établissant le projet de loi de Finances pour 2012, le Gouvernement semble avoir survolé le Code de l’urbanisme budgétaire et retenu l’une seule de ses prescriptions : le retour rapide au respect de la règle maastrichtienne d’un déficit public inférieur à 3% du PIB. C’est paradoxalement l’ambition la plus facile à défendre, au moins sur le papier : personne ne connaissant par avance la production nationale des années à venir, la présentation d’un budget s’appuie nécessairement sur des prévisions. Lesquelles s’apparentent de plus en plus à des espérances déguisées en anticipations scientifiques. Des vœux fardés à la poudre économétrique, une technique de ravalement qui est à la réalité des affaires ce que Photoshop est à l’image numérique.

Voilà pourquoi, de puis plusieurs années maintenant, un budget se juge à l’aune de sa « sincérité », traduction en langue politique de ce que la statistique appelle la crédibilité. L’art budgétaire consiste ainsi à concevoir une fiction qui soit défendable jusqu’au moment du vote. Et dès son adoption, on s’attelle à la préparation des lois de Finances rectificatives, qui viendront corriger l’optimisme des prévisions initiales. Cette gouvernance par paliers de décompression fut popularisée, dans les années 1980, par un Directeur général (français) du FMI, sous le nom de gradualisme. Une transposition du gradualisme en paléontologie, cette approche de l’évolution des espèces qui s’oppose à celle dite des équilibres ponctués, autrement appelée catastrophisme. On ne sait où en est aujourd’hui la chicane entre paléontologues mais il est clair qu’en politique, le gradualisme réunit un large consensus se résumant ainsi : pas de vagues, même en pleine tempête.

Un modèle à inventer

Il résulte de cette stratégie que le débat budgétaire à venir promet de se focaliser sur des « queues de cerises ». D’ores et déjà, la narrative officielle nous informe de l’effervescence des services de Bercy, qui chercherait un milliard pour parachever sa copie. Comme si la nation fouillait ses fonds de poche pour laisser un pourboire après avoir payé l’addition. Ce scénario est plutôt cocasse, dès lors que le budget 2012 est bâti sur une hypothèse de croissance de 1,75%. Un objectif qui s’apparente, selon un avis largement partagé, à des prédictions à la Perrette. Déjà, pour l’exercice en cours, la première loi de Finances rectificative a ramené les perspectives de croissance de l’exercice à 2%, un niveau que la tendance présente promet de démentir. Si bien que des besoins de financement supplémentaires devraient apparaître dès avant la fin de l’année. Quant à l’exercice 2012, un simple chiffre permet de fixer l’ordre de grandeur des incertitudes : 0,1% de croissance correspond approximativement à 0,8 milliard de recettes publiques. Il suffirait ainsi que notre croissance ne s’établisse « qu’à » 1,725% (ce qui serait une divine surprise) pour que, par exemple, le produit de la « taxation exceptionnelle des hauts revenus » soit englouti. Voilà qui donne une idée de la précarité de ce budget, sachant que les organismes de prévision privés estiment que si la croissance atteint la moitié des anticipations officielles, ce ne sera déjà pas si mal... De ce fait, le respect « à l’euro près » d’un déficit public, en 2013, de 3% du PIB, relève de la tartarinade. A tout le moins, sous les conditions de prélèvements présentés dans la loi de Finances.

Sur ce terrain, c’est la même illusion qui prévaut dans l’analyse. Il est devenu habituel de classer les pays selon le niveau des « prélèvements obligatoires », ainsi nommés les impôts et cotisations sociales perçus par les administrations publiques. Le poids de ces prélèvements dans l’économie est supposé quantifier le caractère plus ou moins libéral du pays. Convenons que cet indicateur soit pertinent, lorsque les budgets publics sont… équilibrés. Il apparaît ainsi saugrenu de déplorer que nos prélèvements obligatoires soient promis à la hausse l’année prochaine (à 44,5% du PIB, estimation), quand les déficits à la même époque seront de l’ordre de 5% : la dette est toujours de l’impôt différé (à intérêts composés, du reste). Si bien que nos prélèvements obligatoires sont déjà d’environ 50% de la production nationale – 7 points de plus qu’en Allemagne, selon la même approche. C’est beaucoup. On ne s’interrogera pas ici sur la question de savoir si c’est « trop » : le débat sur la redistribution des revenus n’a pas encore vraiment débuté, alors qu’il constitue probablement l’axe central de la réflexion qui devra être menée pour sauvegarder l’équilibre de nos sociétés. Dans un tel contexte, il est vraisemblable que l’intermédiation publique sera revalorisée. Mais il est tout aussi vraisemblable que cette intermédiation devra s’opérer selon des modalités différentes d’aujourd’hui. Car un constat accablant s’impose : l’Etat français recycle la moitié de la richesse produite par le pays et bientôt davantage encore. Sans pour autant assurer la cohésion sociale, au contraire : une part croissante de la population s’appauvrit dangereusement. Où est l’erreur ?

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