Pascal Bruckner : "le

Pascal Bruckner : "le capitalisme tente de se moraliser"

L’essayiste publie "La sagesse de l’argent", un livre parfois iconoclaste dans lequel il estime qu’il est sage d’avoir de l’argent et... de bien le dépenser.

Pourquoi ce livre sur l’argent ?

L’argent a la faculté de nous accorder une promesse d’avenir. À l’inverse, le manque d’argent nous enfonce dans un présent éternel, chaque jour est une inquiétude : on ne sait comment on va rembourser sa dette, payer ses traites... Ce livre parle du pouvoir de l’argent, car celui-ci a un pouvoir émancipateur.

En quelque sorte, vous faîtes l’apologie de l’argent, c’est assez provocateur en France...

Le pape François, qui est un ancien marxiste et adepte de la théorie de la libération, a dit qu’il n’aime pas cette société matérialiste et capitaliste fondée sur le marché. Au risque de le contredire, je voudrais dire que c’est la pauvreté qui est matérialiste : quand on est pauvre, on compte sou à sou, on économise sur la nourriture, le chauffage, sur tous les éléments essentiels de la vie. Alors qu’au contraire, quand on a de l’argent, on peut dégager du temps pour mener une vie plus agréable et idéaliste.

S’enrichir est-il moral ?

Le premier capitalisme était fondé sur l’ascèse, l’esprit d’économie. Benjamin Franklin expliquait que chaque épingle économisée ferait une belle somme à la fin de l’année. À cette époque, le travail comptait plus que la rémunération. C’est un idéal que nous avons complètement oublié. Depuis 2008 et la crise des subprimes, on assiste à une tentative du capitalisme de se moraliser et de se mettre au service de tous au lieu de quelques-uns. Si la soif de l’or peut tuer le goût du travail, la finalité du capitalisme n’est pas l’appât du gain et la cupidité, mais une activité encadrée, ce que Max Weber appelait "un égoïsme rationalisé".

S’enrichir est-il moral ?

La sagesse de l’argent, c’est d’abord d’en avoir suffisamment pour ne pas y penser toujours. Ensuite, de savoir bien le dépenser. Si les Français sont individuellement économes, notre État, lui, dépense comme une cigale. Dans le programme des candidats à la présidentielle, on voit bien que le souci de combler le déficit n’est pas une priorité...

Très peu ont beaucoup, beaucoup ont très peu. Comment vivez-vous ce paradoxe ? Faut-il davantage partager ?

Avant le partage, il y a le travail. C’est cet argent issu du travail qui doit être honoré, pas celui de la spéculation. La gauche française est écartelée entre l’éloge du travail qui permet une aisance financière, et pointer un doigt vengeur vers les riches. On a l’impression qu’elle préfère dépouiller les riches plutôt qu’enrichir les pauvres.

Le poids des religions dans notre rapport à l’argent ?

Le christianisme, héritier de la philosophie grecque, a dans son ensemble condamné l’argent, même si certaines de ses branches, comme le protestantisme, l’a réhabilité, ainsi que le judaïsme et l’islam. Dans ces deux religions, il y a l’obligation de reverser aux pauvres et la relation qu’un croyant entretient à son Dieu est la même que celle d’un débiteur avec son créancier. L’église romaine a condamné la luxure, mais s’est vautrée dedans. Cela lui a valu de nombreux reproches. L’église orthodoxe, ou les popes vivent dans la stricte nécessité matérielle, n’a pas eu à faire face à ces reproches.

L’argent explique-t-il aussi le terrorisme ?

On aime expliquer le terrorisme par des causes économiques - "ce sont les damnés de la terre" - par des causes politiques - "ils se vengent de l’humiliation" - ou par des causes écologiques - "le réchauffement climatique". Mais on ne veut pas voir et comprendre que le motif du
terrorisme est d’abord religieux : les chefs djihadistes sont des gens fortunés, Ben Laden était milliardaire. Dire que l’argent est le maître du monde est une vision occidentale moderne.

Attendez-vous beaucoup de la campagne présidentielle ?

On attend d’abord qu’elle fasse surgir un diagnostic sur la situation et offre des solutions. Le problème, c’est que l’on est d’accord avec presque tous les candidats. On aime bien ça chez l’un, ça chez l’autre. Chacun paraît avoir un morceau de la vérité. On attend de nouvelles idées, l’émergence d’un
Kennedy français.

(NB : une partie du verbatim de cette interview est issue de la conférence que Pascal Bruckner a donnée au Festival du Livre de Mouans
Sartoux.)
Photo de une JMC

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