Récession, 2e acte

Récession, 2e acte

Partout dans le monde, les perspectives de croissance s’ajustent à la réalité. Elles sont donc nettement réduites. Si bien qu’en Europe, émerge de nouveau le plaidoyer pour un « pacte de croissance ». Lequel n’est pourtant pas compatible avec la stratégie unanime de retour à l’équilibre des comptes publics, imposée par les marchés.

Où va l’économie américaine ? Personne ne se hasarde à des pronostics trop précis, même si les autorités US se montrent raisonnablement confiantes, en rehaussant les perspectives de croissance pour l’exercice en cours. Mais bon, s’agissant d’une année électorale, il est prudent de prendre un peu de distance avec les statistiques publiques, dont la sincérité n’est déjà pas garantie en temps ordinaires. Le point capital d’un retour à meilleure fortune, c’est l’emploi. Selon les derniers chiffres publiés, le taux de chômage s’est légèrement réduit. Mais quelques heures de travail par semaine suffisent à faire passer un chômeur dans la catégorie des actifs, même si les revenus qui en résultent ne sont pas suffisants pour assurer la survie de la famille. Du reste, à ce jour, plus de 46 millions d’Américains bénéficient de l’aide alimentaire (avec les « food stamps »), ce qui correspond à 15% de la population – le nombre de bénéficiaires a plus que doublé depuis le début de la crise. Si les profits des grandes firmes multinationales se maintiennent ou s’accroissent, la situation est beaucoup moins sereine au sein des PME ou des administrations – faute de disposer des ressources appropriées, les collectivités en sont réduites à licencier sans discernement leurs enseignants, leurs policiers voire leurs pompiers. Un contexte qui ne suscite guère l’optimisme.

A ce stade, la seule opportunité de redressement des States réside dans une forte dépréciation du dollar, qui redonnerait une chance aux productions autochtones, tant pour la consommation intérieure que pour les exportations. C’est une hypothèse de plus en plus évoquée par les analystes, dont certains n’hésitent pas à pronostiquer, à brève échéance, une baisse d’au moins 30% du billet vert par rapport aux autres grandes devises. Une telle perspective est d’autant plus crédible que Ben Bernanke, le patron de la Banque fédérale, a récemment confirmé que si les circonstances l’exigeaient (à savoir si l’activité demeurait atone), la FED n’hésiterait pas à lancer un troisième quantitative easing, c’est-à-dire un nouveau recours à la création monétaire intensive. La planche à billets a déjà produit plusieurs milliers de milliards de dollars, dont on cherche vainement les effets positifs sur l’économie réelle. Tout au plus ces flots maintiennent-ils un niveau élevé sur les indices boursiers, pour la plus grande satisfaction de Wall Street. Mais tout le monde croise les doigts pour que les liquidités déversées par la FED restent sans effets pervers sur le niveau général des prix et le cours du dollar. Un vœu pieux : ce serait la première fois, dans l’histoire monétaire, que la planche à billets ne produirait pas inflation à gogo et massacre de la devise. Alan Greenspan passait pour un « gourou » des marchés et il s’est lamentablement ramassé. Son successeur Bernanke se prend volontiers pour la réincarnation de la Pythie de Delphes, mais il n’est pas impossible que les divinités de la finance se soient jouées de lui…

L’Europe en désarroi

Inévitablement, le même type de questions se pose au sujet de la conjoncture européenne. Et de la politique monétaire de notre Banque centrale. Les autorités concernées se montrent moins enthousiastes, ou plus réalistes, si l’on préfère, quant à l’évolution de la conjoncture. Même l’Allemagne montre des signes de faiblesse, quand les Etats en situation de grande austérité enregistrent, d’une façon parfaitement cohérente avec la théorie économique, des performances tout simplement catastrophiques. Voilà donc qu’émerge, de nouveau, la suggestion d’un « pacte de croissance » puisque, d’évidence, cette dernière ne sera pas au rendez-vous avant un bon bout de temps. Ledit pacte relève, on s’en doute, de l’équilibrisme conceptuel. Car il s’agit de concilier une rigueur budgétaire indéfectible et une généreuse pluie de dépenses. Que ces dernières soient réputées « d’investissement » ne change rien à la donne : il s’agit ici de promouvoir un pilotage gestionnaire qui exige d’appuyer en même temps, et à fond, sur l’accélérateur et sur le frein. Sportif. Cela revient à aborder avec une parfaite mauvaise foi la question de financements souverains complémentaires, qui ne soient pas comptabilisés avec les dettes historiques. De « bonnes dettes » affectées à l’investissement, par opposition aux « mauvaises dettes » destinées à la gestion courante.

Cette manœuvre de diversion est évidemment grotesque et n’impressionnera même pas les concierges. Mais elle permet, dans l’immédiat, d’atténuer la portée d’une autre question lancinante, celle que la Commission vient de poser à la BCE. Elle concerne les banques commerciales : qu’ont fait ces dernières des quelque 1 000 milliards d’euros qui leur ont été accordés par l’Institut d’émission, à des conditions plus qu’aimables ? Ont-elles augmenté leurs concours aux entreprises et aux particuliers ? Ont-elles fait l’acquisition de dettes d’Etat ? La BCE elle-même ne serait pas en mesure d’apporter la réponse. Plus exactement, elle ne souhaite pas répondre. Mais on connaît déjà l’essentiel de la partition : non, les banques n’ont pas accru leurs concours à l’économie (au contraire) ; oui, certaines ont renforcé leur portefeuille de dettes souveraines (en Espagne et en Italie, notamment) ; oui, les banques profitent de cette manne pour toiletter leurs propres bilans et karchériser leurs propres dettes. Pendant que les Etats empruntent sur le marché avec difficulté, et à des conditions assassines. Il pourrait bien y avoir une anomalie quelque part, non ?

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