Vers la traque des (...)

Vers la traque des trackers ?

La complexité des produits financiers soulève déjà des risques spécifiques : ce sont quelquefois des grenades dégoupillées. Mais le fait qu’ils soient fabriqués au travers de transactions OTC (de gré à gré, hors des marchés réglementés) soulève d’autres difficultés. Telles celles qu’a récemment rencontrées UBS avec l’un de ses traders.

L’ingénierie financière ne manque pas de ressources. Avec un peu d’imagination et beaucoup de mathématiques, il est possible de concevoir à-peu-près n’importe quel objet plus ou moins identifiable. Et plus ou moins risqué. L’histoire récente regorge de ces ectoplasmes sournois : depuis la cuisine des subprime aux crédits « innovants » consentis aux collectivités locales, la panoplie présente une offre luxuriante qui n’a probablement pas fini de s’étoffer. Il est loin le temps où l’on se contentait, sur le marché financier, d’échanger des titres de propriété ou des créances : c’était l’ère paléolithique de la Bourse, une période qui n’a pas duré très longtemps. Très vite le marché dit « à terme » s’est imposé : les transactions se sont alors largement réalisées à crédit. Dès lors, l’essentiel des opérations n’était plus le fait d’investisseurs, désireux de placer leurs capitaux excédentaires ou de mobiliser ceux qu’ils y avaient préalablement investis. C’était devenu un champ spéculatif dans lequel les intervenants cherchent à réaliser un écart sur le laps de temps le plus court possible, à la hausse ou à la baisse d’un titre : un pari sur la variation du prix. Puis vinrent les options, stellages et autres warrants, des instruments assurément utiles au gestionnaire prudent, tant qu’ils servent exclusivement à sécuriser le portefeuille. Dès lors que ces instruments ont été rendus négociables, il est devenu possible de parier sur l’évolution d’un prix mesurant lui-même la variation d’un prix : les mathématiciens diraient que l’on passait alors de la cotation d’une dérivée première à celle d’une dérivée seconde. Que l’on s’éloignait donc davantage du support réel, le titre originel. Puis sont naturellement arrivées les transactions sur indices, qui sont eux-mêmes des ectoplasmes : un tel recours a allégé la pratique rustique des premiers dérivés et rendu possible… la complexification des opérations qui s’y rapportent. Voilà pourquoi les matheux ont déserté en masse les centres de recherche universitaire et peuplent désormais les plateformes de gestion financière : ils y ont gagné des salaires autrement plus coquets et, pour certains d’entre eux, le Prix Nobel… d’économie. Aujourd’hui, la gestion dite indicielle représente une part significative de l’activité. C’est-à-dire que des capitaux considérables sont affectés à des supports dits synthétiques, des produits de synthèse, en somme, qui sont l’ombre portée de la variation de titres réels. On est entré dans une deuxième, troisième, énième dimension de l’investissement. L’autojustification de l’existence d’une Bourse, c’est de mettre en contact une épargne excédentaire avec les besoins de financement des entreprises ou des Etats, sous la forme de participation au capital (actions) ou de prêts (obligations ou titres monétaires). Force est de constater que sur la masse des capitaux traités au quotidien, une part ridiculement faible satisfait strictement à l’objectif…

Suspicion sur les ETF

Dans la catégorie indicielle, se sont multipliés les ETF (Exchange Traded Funds) autrement appelés « trackers ». Ce sont ordinairement des fonds communs, cotés en continu, dont la vocation est de répliquer un indice, général (comme le CAC40 ou le Dow Jones) ou sectoriel (une industrie, des « commodities », l’or). Il peut s’agir d’une simple réplication : la part du Fonds évolue alors comme l’indice de référence et la technique du gestionnaire peut alors être élémentaire : il lui suffit de détenir en permanence l’exacte contrepartie des valeurs composant l’indice en cause. Mais la plupart du temps, les choses se passent différemment… Comme dans les fonds qui ont pour vocation de générer un résultat inverse de l’indice de référence (de monter quand l’indice baisse, et vice versa), et quelquefois avec un effet de levier (variation du double, par exemple). Il faut dans ce cas au gestionnaire ajuster en continu ses positions avec des produits dérivés, « futures » et autres swaps (promesses d’échange conditionnelles). Ce qui est assez sportif, car il faut en permanence que la valeur du portefeuille justifie le cours qu’il est supposé représenter : c’est donc principalement un risque de contreparties (il faut les trouver et ensuite qu’elles respectent leurs engagements). Mais on vient découvrir une autre source de risque, à la faveur du bug enregistré par UBS sur sa plateforme londonienne Delta one, qui a occasionné une perte estimée à 2.3 milliards de dollars. Un embarras qui serait consubstantiel au fonctionnement du marché des ETF. Selon les informations disponibles, la perte résulterait bien d’une malversation du trader en cause : des opérations fictives. Ou plus exactement, de couvertures bien réelles d’opérations inexistantes. Le trader a, en quelque sorte, spéculé massivement avec une assurance dont il n’avait pas besoin. Et il a perdu. Comment l’opération a-t-elle été possible ? Parce que les banques qui étaient contreparties n’auraient pas signifié immédiatement leur acceptation, laquelle aurait immédiatement alerté le back-office d’UBS sur la fictivité des opérations du trader. Elle ont attendu l’échéance du règlement-livraison (cash contre titres) pour authentifier le deal, ce qui n’intervient que quelques jours après la conclusion. Un laxisme qui pourrait leur coûter chaud. Voilà un nouvel exemple de ce qui peut advenir sur des marchés non réglementés : la moindre négligence laisse toute latitude aux pires truanderies. Avec des conséquences financières potentiellement astronomiques. Un vrai risque systémique, car plus de la moitié des transactions financières passe désormais par le canal de marchés non réglementés. Stressant.

Crédit photo : Photos Libres

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