L'art et les NFT : big

L’art et les NFT : big bang ou étoile filante ?

Depuis la vente d’une oeuvre numérique de l’artiste Beeple par la maison Christie’s pour un montant colossal de 69,3 millions de dollars, les NFT font énormément de bruit. Pour encore longtemps ?

Guillaume Horen, grand amateur d’art passionné de NFT, est catégorique. «  Les NFT, c’est ce qui est arrivé de mieux au marché de l’art depuis des décennies », assure-t-il. Avant de développer : « Quand je dis marché de l’art, je parle évidemment en priorité pour les artistes mais également pour les collectionneurs. C’est gagnant-gagnant des deux côtés et je pense que c’est quelque chose de pérenne  ».

Guillaume Horen, Fondateur du site Achetez de l’Art © Olivier Vinot

Fondateur du site Achetez de l’Art il y a sept ans, Guillaume Horen aimerait bien arriver à emmener avec lui le plus de monde possible, artistes, collectionneurs, avisés et néophytes, dans ce qu’il appelle « une aventure ». Il souligne qu’avec les NFT, l’art est plus que jamais accessible. Il en est convaincu et sait se montrer convaincant. Ce fondu d’art, « du paysage classique du XVIIème siècle jusqu’à l’art très actuel  », a imaginé Achetez de l’Art dans le but, déjà, de faciliter l’accès aux oeuvres. Selon lui, « vivre entouré d’oeuvres d’art change la vie et c’est quelque chose d’accessible, grâce notamment à Internet et aux réseaux sociaux. Avec les NFT, il vous suffit d’avoir un navigateur web pour déjà voir tout ce qui est proposé. Et il est vraiment très simple de faire quelque chose et de le mettre en ligne. Les ‘collectibles’ (les séries, comme les singes ou les baleines), les gens adorent, parce qu’ils s’identifient et les mettent ensuite sur leur profil de réseaux sociaux. Mais on est plus dans l’aspect collection et finance ».

Maître Dalila Madjid © DR

Dalila Madjid, avocate au barreau de Paris spécialisée en droit de la propriété intellectuelle et qui s’intéresse beaucoup au phénomène, n’a pas « la prétention à (son) niveau de pouvoir dire ce que les NFT vont devenir  ». Elle estime cependant « que les oeuvres d’art sous format NFT peuvent encore durer. Peut-être que cela s’essoufflera un peu mais elles feront partie du paysage  ».
Alors concrètement, qu’est-ce qu’un NFT ? Il y a d’abord le dévoilement d’un acronyme, en anglais : NFT, pour « non fungible token », ce qui se traduit littéralement par « jeton non fongible ». Un objet qui ne peut donc être consommé par l’usage et ne peut être remplacé.
Un NFT n’est pas interchangeable, il est unique. Et cela représente un intérêt majeur pour les collectionneurs en tous genres. Pas seulement pour les amateurs d’art puisque les NFT touchent aussi la musique, les noms de domaines, les cartes à collectionner… Voilà pourquoi Me Dalila Madjid pense qu’un NFT est « plutôt un certificat d’authenticité et de propriété d’un objet numérique, qui repose sur la technologie de la blockchain  ». « C’est un support avant d’être une oeuvre puisqu’une oeuvre de l’esprit doit être originale pour être protégée par le droit d’auteur. L’avantage, c’est vraiment ce certificat d’authenticité, qui est digitalisé. La technologie de la blockchain permet une traçabilité pour identifier l’objet et ainsi éviter les contrefaçons. C’est comme les ‘smart contract’, ces contrats intelligents qui permettent de rendre normalement infalsifiables les termes et les conditions de l’exécution
d’un contrat
 », poursuit l’avocate.

Un truc en plus

Guillaume Horen, qui a également ouvert une galerie physique avec son associé, rue de Lappe à Paris, a bien conscience que la notion de cryptomonnaie peut en freiner plus d’un. Mais Achetez de l’Art a trouvé la parade.
Dans un premier temps, ils proposent sur leur site certaines oeuvres NFT en euros et si un collectionneur est intéressé par l’une d’entre elles, ils se chargent de la partie transaction en crypto-monnaie. Dans un second temps, pour ceux qui souhaitent se lancer pleinement dans l’aventure, Achetez de l’Art s’occupe de former les collectionneurs - mais aussi les artistes - au vocabulaire technique et à l’utilisation d’une crypto-monnaie, de la blockchain, d’un wallet. « Certains de nos artistes ne nous ont pas attendus pour lancer leurs NFT et il y en a d’autres qui avaient besoin d’un petit peu d’aide. On les a accompagnés pour mettre en ligne leurs oeuvres sur OpenSea  », la plus grande place de marché pour NFT, explique Guillaume Horen.

Pierre-Elie de Pibrac © Olivier Goy

C’est le cas de Pierre-Elie de Pibrac, un photographe plasticien déjà bien installé, lauréat et finaliste de nombreux prix.
« Je me suis lancé après avoir discuté avec Guillaume (d’Achetez de l’Art), qui, lui, s’est plongé tout de suite dans les NFT alors que pour moi c’était quelque chose d’extrêmement abstrait. C’était difficile à concevoir parce que j’aime bien l’oeuvre physique. Il y a eu tout un buzz, on parlait beaucoup des NFT et je lui ai dit qu’il fallait que je rentre dedans. J’avais plusieurs projets et je ne savais pas du tout comment les présenter. Il m’a aidé à les créer  »,
explique le photographe. «  Cela devient concret maintenant, aussi bien en tant qu’artiste que collectionneur puisque j’aime bien collectionner. Ce qui m’intéresse, c’est cette notion de pouvoir être propriétaire d’une oeuvre
qui peut être consultée par tout le monde. Et pour ce qui est de mon travail artistique, j’avais des oeuvres que je n’arrivais pas à matérialiser et je trouvais que les créer sous forme de NFT trouvait tout son sens. Je ne pouvais pas les montrer sur papier imprimé. J’aime bien cette dématérialisation pour certains projets. Quand j’ai compris ce que c’était, je me suis dit, voilà, ces projets que je n’ai jamais réussis à faire, ces choses que je n’avais pas pu exprimer, j’ai ici l’opportunité parfaite parce que c’est exacte-ment le support qu’il me faut pour le faire
 », confie Pierre-Elie de Pibrac. L’artiste n’en oublie pas pour autant ses premiers collectionneurs
puisqu’il proposera avec ses oeuvres NFT une oeuvre physique, afin également d’avoir « un complément de réflexion à l’oeuvre principale NFT  ».

PIERRE-ELIE DE PIBRAC - The Conundrum © DR

Pierre-Elie de Pibrac ne voit pas du tout les NFT comme une menace potentielle pour les autres formes d’art  : « Je trouve que les arts ne se remplacent pas. Et les NFT ne sont pas le remplacement de l’art. C’est une manière de s’exprimer dans l’art, comme il y en a mille autres. La sculpture n’a jamais remplacé la peinture et la photographie ne remplace pas d’autres arts. Avec les NFT, cela va sans doute prendre des décennies pour évoluer. L’outil étant l’ordinateur, cela ne va faire qu’évoluer et on comprendra leur plein potentiel dans très longtemps  ».
Guillaume Horen abonde : « Cela ne remplace pas le reste. Moi je suis totalement attaché à mes gravures anciennes et à la photographie sur papier. C’est un truc en plus. Le vrai changement en fait, c’est que jusqu’à présent quand vous achetiez une oeuvre unique vous l’aviez chez vous et plus personne ne la voyait. Là, vous avez la propriété de l’oeuvre mais elle reste visible et partagée à tout le monde. C’est un point important ».

Achetez de l’Art, qui a organisé le 17 juin une première exposition 100% NFT, a également accompagné Sheina, « une artiste qui voulait aller vers les NFT et ne savait pas comment faire. On l’a aidée à lancer ses premières oeuvres NFT ». De son côté, Me Dalila Madjid a déjà reçu dans son cabinet un artiste désireux de se lancer dans les NFT mais qui, prudent, voulait savoir dans quoi il mettait les pieds. Derrière le côté nouveau, ludique et, il faut l’avouer, un brin teinté de science-fiction, on retrouve un argument de poids qui attire en toute logique les artistes : la possibilité de vivre de son art. Lors de la mise en vente sur une plateforme comme OpenSea, « vous pouvez préciser le pourcentage qui vous reviendra en cas de reventes », souligne Guillaume Horen. Ce qu’on appelle le droit de suite. «  Les choses sont réglées dès le départ et c’est reversé automatiquement à l’artiste  », confirme Me Madjid. Il y a donc une tendance d’artistes de « l’ancien monde » soucieux de prendre le train en marche.
Et les autres ? «  J’ai le même ressenti qu’au début du web. A l’époque, des acteurs du marché de l’art ne comprenaient pas trop. Et là, on a un peu la même chose », analyse le fondateur d’Achetez de l’Art. « On a des
artistes pour lesquels ce n’est même pas imaginable. Mais d’autres s’y sont mis naturellement et d’autres encore sont très intéressés. Dans tous les domaines, je ne parle pas seulement des artistes digitaux. Pour les artistes, ce n’est pas forcément beaucoup de travail en plus mais il y a une démarche à faire. On attend encore certaines stars de l’art contemporain, comme Banksy. Il y a eu soi-disant un Banksy en vente en NFT mais ce n’était pas le cas. On attend aussi un artiste comme Invader. Il y a eu des faux-comptes, il a confirmé que les NFT ne venaient pas de lui. Takashi Murakami a lancé il y a plusieurs mois une série de fleurs et finalement a fait machine arrière, on ne sait pas trop pourquoi. Je ne comprends pas pourquoi les artistes n’iraient pas d’ailleurs. Cela leur donne de la visibilité auprès de potentiels collectionneurs qui a priori n’ont pas forcément grand chose à voir avec leurs collectionneurs actuels
 ».

Fred Forrest, pionnier de l’art multimédia, a lui franchi le pas avec humour, en proposant son oeuvre « NFT-Archeology  » au prix de 69,3 millions de dollars + un dollar, espérant ainsi battre le record de Beeple (Mike Winkelmann de son vrai nom) avec «  Everydays : the First 5000 Days ».
Damien Hirst a également rejoint le club avec The Currency.
En attendant d’autres grands noms de l’art contemporain ou numérique, quels sont aujourd’hui les artistes « labellisés » NFT à suivre ? Ils sont nombreux mais si l’on se fie au regard avisé de Guillaume Horen, deux se détachent : Kevin Abosch et Pascal Boyart, alias Pboy.

La référence

L’Irlandais Kevin Abosch est un « crypto OG (Old Gangster), c’est-à-dire un pionnier du digital et de la crypto. Pour moi, c’est la référence absolue aujourd’hui. Il a lancé fin mars une série qui s’appelle 1111. Ce sont 1111 oeuvres uniques. C’est totalement abstrait, généré avec de l’intelligence artificielle. Il y a beaucoup de choses intégrées à ses oeuvres et qui se révéleront progressivement, avec des activations à venir. C’est vraiment un voyage », s’emballe le créateur d’Achetez de l’Art. Une oeuvre de la série était mise en vente à 1,111 Ether (un Ether valait un peu plus de 2 900 euros le 5 octobre, ndlr). Le prix plancher d’une oeuvre est aujourd’hui à 10 Ethers. « Il a tout vendu après son drop (mise en vente). Maintenant on est sur le second marché », indique Guillaume Horen.
« L’expérience offerte par Kevin Abosch avec cette série est exceptionnelle. Les gens sont un peu passés à côté, avec l’effervescence autour de la série des singes notamment. C’est vraiment quelqu’un à suivre, inévitablement. Il voit très loin. Il est très réfléchi et travaille énormément. Il va devenir une grosse référence  ».

Projet fou

L’autre artiste qui s’impose, Pascal Boyart, est un street artist français, « lui aussi considéré comme l’un des pionniers des NFT  », selon Guillaume Horen.
« Cela fait des années qu’il est sur ces sujets blockchain, bitcoin, etc. Il a mis en place tout un système de patronage : il a proposé à ses futurs collectionneurs de participer à ses projets avec de la crypto, moyennant rétribution sous forme d’oeuvres. Cela a super bien fonctionné  ».

Il y a d’abord ce projet fou : reproduire en la revisitant avec de petites touches de modernité la Chapelle Sixtine, sur un mur à l’intérieur de La Fonderie, une ancienne fonderie d’or située à Ivry. Son travail titanesque est retracé dans un documentaire réalisé en 2021, « The Underground Sistine Chapel », visible sur Youtube.

« Cinq mois de travail ont été nécessaires pour la peinture et cinq mois de plus pour générer les NFT et préparer la mise en vente. Ce qui est absolument génial dans ce projet c’est que vous avez une revisite de la Chapelle Sixtine dans un endroit qui a priori est éphémère. En revanche, grâce aux NFT, cette oeuvre est totalement immortalisée  », avance Guillaume Horen. Pascal Boyart a découpé sa fresque en 404 parties et les a transformées en oeuvres NFT. « Il vient de finir la première mise en vente et on est déjà à 2,5 Ethers en prix plancher. Les gens commencent à s’apercevoir de l’étendue du talent de Pascal ».

Des artistes NFT au talent reconnu commencent donc à avoir une cote. Mais la somme déboursée pour acquérir l’oeuvre de Beeple ne risque-t-elle pas de fausser la donne pour la suite ?
Guillaume Horen juge au contraire que c’est «  très positif  ».
« Effectivement il y a cette notion d’argent et ces chiffres totalement astronomiques qu’on a même du mal à entendre. Mais ce que je vois c’est que cela a permis à des collectionneurs de se dire, Sotheby’s et Christie’s s’y mettent donc il y a un vrai sujet. Il y a plein d’artistes qui s’y sont mis et ont commencé à gagner de l’argent et je suis très content pour eux. Je vois des artistes qui travaillent depuis des années à leur identité sur les réseaux sociaux, qui y passent des heures en contrepartie de rien de tout. Je me dis que là il y a une contrepartie. Si les artistes peuvent vivre de leur art, c’est tant mieux  ».

Des défis à relever

Parmi les défis à relever pour les collectionneurs de NFT, il y a la sécurité et
le « display », c’est-à-dire la manière de pouvoir profiter des oeuvres.

«  Il y a des règles de sécurité très importantes », rappelle Guillaume Horen, ajoutant que chez Achetez de l’Art «  on y travaille beaucoup. On va commencer par lancer des sessions de formation pour les collectionneurs. On a toujours eu ce rôle d’accompagnateur pour les collectionneurs, avec des conseils prodigués par des experts sur les questions de TVA, sur les questions fiscales, etc. ». Pour la présentation des oeuvres, « il y a plusieurs réponses. Une oeuvre digitale, vous pouvez la voir sur tous vos terminaux : votre ordinateur, votre téléphone. Et vous avez aussi différents systèmes avec des écrans qui fonctionnent très bien. Il y a notamment un système d’écran
en plexiglas conçu par une société américaine. Cela fait comme un cadre photo mais au lieu d’avoir une image fixe, vous avez un NFT animé que vous pouvez poser sur votre cheminée. C’est encore en cours d’évolution mais il y a une offre qui va vraiment devenir intéressante. Et c’est aussi un sujet qu’on a dans notre galerie. On a fait une exposition totalement en ligne mais dans nos projets, on compte bien avoir un espace physique dédié aux NFT
 », explique Guillaume Horen, qui se prépare pour la suite.
Avec impatience.

Rendu 3D de l’exposition “100% NFT” © Achetez de l’Art / Cyber

Petit lexique pour y voir (un peu) plus clair

NFT : Non fungible token. Certificat d’authenticité d’un objet ou d’une oeuvre numérique.

Crypto-monnaie  : Selon l’Institut national de la consommation, « monnaie virtuelle qui repose sur un protocole informatique de transactions cryptées et décentralisées, appelé blockchain ou chaîne de blocs ». En 2019, il y avait 2 871 crypto-monnaies, d’après le ministère français de l’Economie. Les plus connues sont Bitcoin, Ether ou Ripple.

Blockchain : La mission d’information de l’Assemblée nationale sur les usages des chaînes de blocs et autres technologies de certification de registre la définit comme « un registre, une grande base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs, tous également détenteurs de ce registre, et qui ont également tous la capacité d’y inscrire des données, selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique très bien sécurisé grâce à la cryptographie ».

Wallet : Procédé de stockage de crypto-monnaies, en principe sécurisé.

Photo de Une (détail) : Pierre-Elie de Pibrac Captain Prospect © DR

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