Enclavement énergétique des Alpes-Maritimes : gestion de crise

RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, a pour mission l’exploitation, la maintenance et le développement du réseau haute et très haute tension. L’incident intervenu le 3 Novembre au matin sur la ligne à 400 000 volts reliant Marseille et Nice, dû aux violents orages dans la région, a provoqué une coupure d’alimentation électrique d’environ 1 500 MW et plongé dans le black out, 1,5 millions d’usagers dans le Var, les Alpes Maritimes et la Principauté de Monaco. Un incident qui a ravivé la polémique autour de la fragilité structurelle de l’approvisionnement électrique régional, longtemps dénoncé et suscité la colère de Christian Estrosi, Député-Maire de Nice.

Ce dernier a organisé le 17 Novembre dernier à Nice un Grenelle de l’électricité avec les instances des Alpes-Maritimes concernées afin de préparer la réunion de travail qui s’est tenue à Nice le 1er décembre, sur l’impulsion de Jean-Louis Borloo Ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire. Lors de cette réunion a été décidée l’abandon de la ligne aérienne Boutre-Carros au profit à la fois d’une plus grande maîtrise de l’énergie, du développement des Energies renouvelables et d’une solution réactive et pérenne pour enrayer cette situation de dépendance énergétique. Une histoire mouvementée en plusieurs épisodes...

Feed back sur l’incident qui a mis le feu aux poudres…

« La principale artère de 400 000 volts, desservant les Alpes-Maritimes, le Var et Monaco, a été foudroyée à plusieurs reprises dans la matinée du 3 Novembre faisant disjoncter le réseau. A 9h40, cette artère qui relie Marseille à Nice, s’est mise hors tension. » a expliqué Catherine Greiveldinger,
directrice de RTE pour le Sud-Est. Effet domino : les lignes secondaires, soudainement surchargées, ont cédé les unes après les autres jusqu’au black out total. Des cellules de crise ont été mises en place au sein de RTE, à la préfecture des Alpes-Maritimes ainsi qu’au siège du Gouvernement monégasque. Les hôpitaux, cliniques et l’aéroport Nice-Côte d’Azur équipés de groupes électrogènes ont heureusement démarré. « Nous disposons d’un système de sauvegarde avec une centrale électrique qui se met en marche automatiquement dès qu’il y a une panne », a déclaré un porte-parole de l’aéroport, Philippe Belissent.
Mais la panne a tout de même eu des conséquences : 7 Trains express régionaux, 2 TGV et tous les tramways à l’arrêt ; près de 250 personnes prisonnières d’ascenseurs ; des tunnels de la ville de Nice fermés. L’ensemble des clients du réseau de transport de RTE et du réseau de distribution d’EDF ont été progressivement réalimentés en électricité au cours de la matinée grâce à l’implication conjointe des équipes des deux entreprises. La réalimentation a été complète à 13h10.
Le Ministre d’Etat, Jean-Louis Borloo a rendu hommage « à la rapidité d’intervention des agents de RTE et d’EDF qui ont rempli avec une grande efficacité leur mission de service public ». Une panne géante, longtemps annoncée, qui relance le problème du désenclavement énergétique du Sud-Est et remet en cause l’annulation du projet de construction de ligne à haute tension entre Boutre (Var) et Carros (Alpes-Maritimes).

Relance d’un débat électrique autour de la ligne Boutre-Carros

Conformément aux conclusions du débat public de 1998, ce projet, porté par RTE Sud-Est, de188 millions d’euros devait se substituer aux deux lignes existantes et donc, devait traverser le site du Verdon, une zone protégée classée en parc naturel régional, ce qui avait suscité une levée de boucliers des communes environnantes et des associations écologistes lors du débat public.

Le gouvernement avait décidé en 2000, d’étudier un projet à « environnement constant « qui après trois de concertation sur le terrain avait abouti à de nombreuses améliorations apportées par RTE. L’entreprise s’engageait à démonter 170 kms de ligne à très haute tension et 430 pylônes existants, pour les remplacer par 100 kms de ligne et 210 pylônes. « Un projet considérablement évolué intégrant des adaptations conséquentes sur le plan environnemental » avait souligné favorable la CCI Nice Côte d’Azur.

A l’issue de l’enquête publique fin Novembre 2004, le projet déclaré « d’utilité publique » en décembre 2005, entamait sa phase de réalisation, mais, coup de théâtre, en juin 2006, le Conseil d’Etat, revenait sur cette décision sous la pression des associations écologiques en estimant que les atteintes que ce projet portait à l’environnement, annulait son caractère « d’utilité publique ». Retour à la case départ. Une décision jugée d’autant plus arbitraire par les Collectivités et le Monde économique que le département des Alpes-Maritimes importe 90% de son électricité pour satisfaire ses besoins, soit 6 600 milliards de watts/heure consommés chaque année par les azuréens.

Les contraintes du réseau

Comment assurer l’approvisionnement en électricité de la région à la fois en service normal et à la suite d’une défaillance du réseau, tel est le défi majeur que doit relever RTE Sud-Est ! Il faut que la puissance garantie soit toujours supérieure à la puissance maximale appelée par les consommateurs. L’électricité ne se stocke pas, elle est produite, transportée et distribuée instantanément. La puissance appelée varie constamment au cours de la journée, de l’année. À tout moment il faut que le système (production, transport, distribution) soit en mesure de répondre à la demande de puissance.
« La mission essentielle de RTE, explique François Richard, Directeur de la Communication de RTE Sud Est, est d’assurer le bon fonctionnement de ce système électrique et de garantir la sécurité d’alimentation électrique. Une règle fondamentale de sécurité, appliquée par tous les gestionnaires du réseau en Europe est que la mise hors tension accidentelle d’une ligne électrique (survenant suite à un incendie, un événement climatique tel que la neige collante, un orage, du vent fort, une avarie technique…) ne doit entraîner aucune interruption de l’alimentation électrique, le courant transitant alors par un autre chemin électrique. En région PACA, cette sécurité ne peut être pleinement assurée du fait du réseau non bouclé. RTE s’efforce de gérer au mieux cette situation tendue depuis plusieurs années et de limiter le risque de coupures en l’absence de renforcement du réseau. »

Des solutions alternatives en réponse à la crise

Selon les scénarios développés par les experts, plusieurs configurations de renforcement de réseau pourraient être envisagées : en secondant la ligne 400 000 volts actuelle par une autre ligne équivalente à créer, en raccordant le réseau français au réseau italien en 400 000 volts, en créant plusieurs nouvelles lignes de moindre puissance (en 225 000 volts) qui in fine permettraient de disposer de suffisamment d’itinéraires bis pour suppléer l’actuelle principale artère. Cette dernière option offrirait l’avantage d’une meilleure intégration environnementale. Dans ce dernier cas, des programmes complémentaires de maîtrise de la demande d’électricité et de développement de la production locale seraient indispensables pour apporter une réponse durable à la problématique du Var et des Alpes-Maritimes. Dans cette optique, parmi les solutions alternatives évoquées en complément par les institutionnels : une plus grande maîtrise de l’énergie de la part des consommateurs, une production décentralisée, avec des panneaux solaires, des filières déchets valorisées, le développement du bois-énergie… ».
Le débat réouvert autour de la sécurisation électrique de l’Est de la Région PACA à l’issue de cette panne déterminante devait offrir à l’opérateur RTE une occasion inespérée de renforcer son rôle d’opérateur majeur et à la région PACA, en s’imposant comme région pilote en matière énergétique, de résoudre son problème vital de dépendance, fédérant autour d’elle tous les acteurs du secteur. Hélas, l’abandon du projet de ligne aérienne Boutre-Carros décidée le 1er décembre dernier par l’Etat, la Principauté de Monaco et les Conseils Généraux des Alpes-Maritimes et du Var, va certes conforter son rôle de coordinateur principal mais également grever un budget déjà pesant pour RTE…

Une nouvelle infrastructure de transport de 350 millions d’euros à la charge de RTE
A l’issue de la réunion de travail dirigée par Jean-Louis Borloo, Ministre d’Etat, trois mesures principales ont été entérinées : une maîtrise renforcée de la demande d’électricité (objectif de réduction de 15% des consommations à court terme), un développement de la production locale d’énergies renouvelables (solaire, biomasse, hydraulique avec pour objectif d’atteindre 15% de la consommation en 2012 et 25% en 2020) et, une nouvelle infrastructure de transport enfouie cette fois et limitée à 225 000 Volts.

RTE a donc pour mission d’engager au plus vite une analyse technique et financière pour mettre en place cette nouvelle infrastructure opérationnelle en 2015 et divisée en trois tronçons : entre Boutre et Trans (70 km), Fréjus et Briançon (25 km) et Briançon et La Bocca (15 km), soit au total 110 km. Un projet évalué à 350 millions d’euros, plus onéreux que le projet initial aérien et qui ne souffre cette fois aucun retard ou alternative...

RTE, en quelques chiffres

Filiale du groupe EDF depuis le 1er septembre 2005, RTE qui emploie 8 300 salariés et a réalisé un CA de 4 126 M€ en 2007, s’appuie sur un réseau de 100 000 km de lignes à haute et très haute tension. Garant du bon fonctionnement et de la sûreté du système électrique, l’entreprise de service public achemine l’électricité entre les fournisseurs d’électricité, français et européens et les consommateurs, distributeurs comme EDF, entreprises locales de distribution et industriels directement raccordés au réseau de transport.

RTE est organisé en sept directions régionales qui gèrent les flux sur le réseau de transport d’électricité, l’accès au réseau pour les sites des clients implantés en France, le développement, l’exploitation et la maintenance du réseau régional. RTE déploie par ailleurs un réseau de fibres optiques sur ses installations pour ses besoins de télécommunication de sécurité.

Avec au total, 13 000 kilomètres de fibres déployées d’ici 2009, le réseau optique de RTE figurera dans les quatre premiers réseaux de télécommunications à haut débit en France. Avec une structure maillée et 2 300 points de desserte voisins des agglomérations, il permet potentiellement de desservir la totalité des villes de plus de 7 000 habitants et plus de la moitié des villes de plus de 5 000 habitants. Cette densité permet aussi de desservir les zones rurales ou montagneuses « excentrées » avec un coût compétitif.

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