Focus sur les Très Hauts

Focus sur les Très Hauts Revenus

L’Insee vient de livrer sa dernière étude sur les très hauts revenus (THR). Un sujet sensible en cette période où bien des hauts salaires sont considérés comme de la provocation. Et où l’accumulation de patrimoine est suspecte de bénéficier d’une protection excessive grâce au bouclier fiscal. Des statistiques à contenu polémique…

« Or ça, sire Grégoire, que gagnez-vous par an ? » Voilà une question qui n’était pas indiscrète pour les contemporains de La Fontaine, en ces temps reculés où l’Administration fiscale était encore artisanale et la statistique publique inexistante. Les savetiers sont aujourd’hui beaucoup plus rares mais sans doute plus opulents : demandez donc à Berluti ce qu’il peut vous mettre aux pieds pour 100 écus… Désormais, pour savoir qui gagne quoi, il suffit de se référer aux travaux de l’Insee. Dans l’une de ses récentes livraisons , l’Institut analyse les « très hauts salaires » de l’année 2007. La publication ne dit rien de votre tailleur, qui était riche lorsque vous appreniez l’anglais et qui depuis s’est fait tailler des croupières par ses homologues asiatiques. Elle donne en tout cas une image précise de la répartition des revenus du travail et de ce que l’on nomme en statistique ses « inégalités » : les 1% des salariés les mieux payés ont perçu cette année-là un peu plus de 215 000 euros (bruts), soit environ sept fois la moyenne nationale. Ces données concernent 133 000 personnes du secteur privé et en grande majorité des hommes. Mais on dénombre également 1 200 contribuables, dans la fonction publique d’Etat, qui perçoivent des traitements comparables. Et là aussi, les femmes sont fortement minoritaires, tout comme au sein des professions non-salariés, dont les membres sont plus nombreux (160 000) à disposer de très hauts revenus.
L’année 2007 s’est, d’une façon générale, caractérisée par une forte augmentation des salaires, mais celle-ci a été beaucoup plus importante au sein du haut-encadrement, et même spectaculaire pour ceux qui ont accédé à la catégorie depuis 2002. Il y a donc, en première analyse, confirmation du sentiment partagé par l’ensemble de la population : l’écart se creuse entre les mieux rémunérés et les autres. Et depuis que la crise s’est installée, il semble bien que le phénomène ait plutôt tendance à se renforcer…

Des métiers en or

Si l’avenir professionnel devait être conforme à la photographie de l’an 2007, on pourrait sans difficulté conseiller nos enfants et petits-enfants dans leur choix de carrière. Sans grande surprise, les mieux lotis sont les artistes et sportifs de haut niveau (445 000 euros pour la moyenne des très hauts revenus), qui écrasent les cadres bancaires (290 000 euros, tout de même) et ridiculisent les ingénieurs du BTP (184 000 euros). Il faut quand même admettre que pour un jeune, il est plus facile de briguer Harvard ou Polytechnique que le capitanat de l’équipe des Girondins de Bordeaux, par exemple, ou le premier rôle dans une superproduction d’Hollywood. Encore plus accessible, faire des études de droit : les hauts revenus des professions libérales juridiques s’établissent en moyenne à 244 000 euros (revenu professionnel net). Mais comme dans le sport ou le spectacle, il faut gagner son statut de « star » pour y parvenir : bon nombre de jeunes avocats savent combien il leur faut ramer pour simplement assurer le quotidien. Et un notaire qui s’installe doit brûler un cierge chaque matin pour que l’activité ne faiblisse pas, faute pour lui d’être enseveli sous la masse de ses emprunts. Bref, il faut replacer ces revenus dans leur contexte, et ne pas oublier qu’ils concernent la tranche des 1% les plus élevés.

Cela n’empêchera pas un foisonnement probable de commentaires acides sur ces statistiques, dans cette période marquée par la précarité grandissante et la stagnation du pouvoir d’achat pour le plus grand nombre. Et encore se dispense-t-on ici de faire état d’une autre analyse, parue à la même date, intégrant les revenus du patrimoine : les écarts sont encore plus spectaculaires. Autant de grain à moudre pour le débat relatif au bouclier fiscal, qui s’anime à un moment peu favorable au gouvernement, tout occupé à tenter de faire rapatrier de Suisse les capitaux volages. Autant de venin à l’attention des banquiers, qui font déjà l’objet d’un profond ressentiment. Mais si cette dispersion des revenus est encore valide en 2010, il est assez peu probable qu’elle perdure indéfiniment. Le secteur financier, dont la prospérité actuelle est factice, ne devrait pas échapper à un deuxième tsunami susceptible d’anéantir les rentes. Le contentieux a tendance à augmenter en temps de crise, convenons-en ; mais encore faudra-t-il que les entreprises aient les moyens d’honorer les factures de leurs conseillers juridiques. Le traitement des conflits pourrait bien, de ce fait, devenir plus expéditif. Il sera intéressant, dans un proche avenir, d’interroger l’Insee sur l’évolution du revenu moyen des hommes de main et des sicaires, possibles nouveaux piliers de l’ordre judiciaire futur… Et s’il s’agit d’aider les jeunes générations à choisir un métier, peut-être ne faut-il pas les décourager de s’intéresser à l’agriculture, ce secteur aujourd’hui déconsidéré, même par ceux qui en vivent (mal).

Car au train où les circuits de production promettent de se disloquer, il n’est pas exclu que la quête d’un poulet de grain ou d’un sac de pommes de terre soit demain aussi aléatoire que celle du Graal, et aussi coûteuse que le recours à un ténor du barreau…

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