Le fonds de commerce à la loupe

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  • le 28 mai 2009

Véritable session de formation de la profession, le congrès des notaires étudie chaque année, trois jours durant, tous les aspects d’un point de droit. A Lille, du 17 au 20 mai, les notaires ont choisi d’examiner la notion de fonds de commerce, qu’on appelle en droit « les propriétés incorporelles ».

Loin des rumeurs du rapport Darrois et des bruits causés par l’effondrement des prix de l’immobilier, les notaires qui se sont réunis à Lille en congrès, du 17 au 20 mai, ont choisi de mettre leurs compétences au service des professions artisanales, libérales et agricoles. Ces praticiens qui forment, ensemble, plus de 4 millions de structures, petites entreprises ou cabinets professionnels constituent, accessoirement, une part non négligeable de la clientèle des notaires.
L’équipe d’une dizaine de notaires chargés du congrès, dirigée par Didier Froger, lui-même installé à Vierzon (Cher), a identifié un manquement de taille dans l’environnement juridique de ces professions. Les fonds de commerce et autres fonds, agricoles ou libéraux, indispensables à l’exercice de leur activité, ne bénéficient pas d’une définition commune et encore moins de « règles cohérentes », constate Didier Coiffard, notaire à Oyonnax (Ain) et rapporteur général du 105ème congrès. Trois jours durant, l’équipe a donc proposé aux centaines de praticiens réunis dans une salle du Grand palais de Lille une vingtaine de propositions visant à réformer le droit commercial. Nourries d’expériences vécues au sein de leurs offices, défendues par des praticiens chevronnés, discutées par d’éminents professeurs, ces propositions ont toutes été adoptées, pratiquement à l’unanimité, par les confrères présents. Ces vœux ne sont pas censés rester lettre morte. Ils seront transmis à la Chancellerie ou aux autorités susceptibles de les faire entrer dans le droit français ou européen.

Une définition du fonds de commerce ?

A écouter Didier Coiffard, il était temps que des juristes se penchent sur le sort des fonds de commerce. Car l’économie change, assure le praticien. Ainsi, « le besoin de sécurité » du consommateur est « en perpétuelle évolution », se manifestant tour à tour au sujet de l’alimentaire, de l’accessibilité des handicapés ou des qualifications des entrepreneurs. De même, « les techniques commerciales se transforment », le boutiquier ayant cédé la place au franchisé puis au cybercommerçant. Quant aux modes d’exercice des professions, ils varient entre le regroupement, la collaboration et, depuis quelques mois, l’auto-entreprise. Enfin, « chaque catégorie socioprofessionnelle demande à ce que la valeur de ses activités soit reconnue », à des fins de transmission, affirme Didier Coiffard. Or, face à ces évolutions, le droit commercial « a toujours un temps de retard », relève le praticien. Ainsi, la loi comme la jurisprudence « empilent les fonds spécifiques sans les avoir, avant toute chose, encadrés dans un concept global », regrette-t-il.
Le fonds de commerce doit son existence à une loi de 1909, le fonds libéral a été consacré par la jurisprudence en 2000 et le fonds agricole a été créé par un texte de 2006. Les trois entités ne répondent pas à la même définition, puisqu’ « il n’en existe pas », confie Didier Coiffard. L’une des propositions phare émise par le congrès des notaires vise donc à en fournir une, quitte à le faire dans un jargon juridique que seuls des spécialistes savent décrypter. Le fonds, identifié comme tel au registre du commerce et des sociétés, serait ainsi « reconnu comme un contenant dédié à une activité professionnelle, pouvant exister indépendamment de toute exploitation, dont le contenu serait déterminé par un lien d’affectation à l’activité envisagée ».

Suppression d’obstacles administratifs

Les notaires n’en prônent pas moins une « simplification » et une « clarification » des régimes comptable et fiscal des propriétés incorporelles. « Il s’agit de privilégier l’efficacité », affirme Didier Coiffard. Dans le même objectif, l’équipe du congrès souhaite « réduire le délai d’indisponibilité du prix de cession », en clair permettre à un professionnel vendant son fonds de disposer immédiatement de la somme correspondante. Actuellement, en raison de diverses formalités administratives et fiscales, le prix de cession demeure indisponible durant « cinq mois et demi », ont calculé les notaires. Ces obstacles, « inadaptés aux échanges économiques », empêchent « tout réinvestissement immédiat et privent parfois une famille de toute ressource pendant cette durée », poursuivent-ils. « C’est un problème criant dans nos études », assure Frédéric Phan Thanh, notaire à La Baule-Escoublac (Loire-Atlantique) et rapporteur de la première commission consacrée au « fonds de commerce ». « Je viens de vendre un fonds de commerce pour 100 000 euros, mais la somme demeure bloquée », poursuit-il.

Codification des échanges électroniques

L’intérêt des notaires ne se limite pas aux professions libérales. Si l’on suit les recommandations des juristes, il faudrait ainsi rendre obligatoire le fonds agricole, aujourd’hui optionnel, car « tout exploitant exerçant une activité agricole est de fait titulaire d’un fonds et doit pouvoir le transmettre dans son intégralité ». Il arrive aussi aux notaires d’acheter des produits sur Internet. Conscients que le commerce en ligne ne connaît pas les frontières, ils envisagent de « promouvoir une codification européenne du droit des échanges marchands faits par voie électronique ». Enfin, le congrès s’est penché sur le droit de préemption dont disposent les communes sur les fonds de commerce de proximité. Cette notion « n’a pas été définie », soulignent les notaires, qui rappellent « les principes européens de libre concurrence et de liberté d’établissement » pour réclamer une « réforme » du droit de préemption.

Favoriser la création d’entreprise

« Comment protéger mon patrimoine privé de mes créanciers professionnels ? », s’interrogent souvent les personnes sur le point de créer leur entreprise. Le congrès de Lille y répond en proposant de doter le créateur d’une « personnalité juridique particulière, pour les besoins de son exploitation professionnelle ». Cette « propersonnalité » garantirait à l’entrepreneur une protection absolue de son patrimoine privé. Aujourd’hui, remarque Olivier Savary, notaire à Montlhéry (Essonne) et président de la quatrième commission, « l’insaisissabilité des biens ne garantit pas que la saisie ne s’opère pas. En réalité, la maison d’un chef d’entreprise en faillite est vendue, même si son prix n’est pas reversé aux créanciers. Cela pose un problème social ». Les notaires préfèrent créer cette « propersonnalité » plutôt que de modifier les règles de la faillite. « Le créateur ne pense pas à la faillite lorsqu’il s’installe. Il faut marquer les esprits en proposant une bouffée d’air susceptible d’attirer à l’entreprise des gens qui hésitent à passer le cap », affirme Etienne Dubuisson, notaire à Brantôme (Dordogne) et rapporteur de la quatrième commission.

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