Le notariat aimerait « travailler en paix »

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  • le 28 mai 2009
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Moins nombreux que l’an dernier, les notaires réunis en congrès sur « les propriétés incorporelles de l’entreprise », au Grand palais de Lille du 17 au 20 mai, pansent leurs plaies. La chute des ventes immobilières conduit la profession à limiter ses effectifs et même à licencier tandis que les avocats, éternels rivaux, demeurent positionnés en embuscade.

Les notaires ? « De bons clients ! », s’exclament, si l’on en croit Martine Aubry, les commerçants lillois, qui se souviennent du dernier passage de la profession, en 2000. La maire (PS) de Lille, attachée au développement touristique de sa ville, pourrait cependant déchanter. En ce printemps, 2 800 professionnels, contre 3 100 l’an dernier à Nice, ont participé à la réunion annuelle du notariat.
Les notaires sont « comme tant d’autres, violemment frappés par le désordre de l’économie », reconnaît Jean-Pierre Ferret, président du Conseil supérieur du notariat (CSN) dans son adresse aux praticiens. La baisse de l’activité atteint, depuis le début de l’année, « 18 à 20% », estime-t-il. Le nombre de ventes immobilières, qui fournissent les deux-tiers du chiffre d’affaires de la profession, a commencé à diminuer dès la fin 2008. Le « frémissement » constaté par certains professionnels depuis quelques mois n’empêche pas le notariat de réduire ses effectifs. « Début 2008, la profession employait plus de 50 000 personnes. Nous en sommes aujourd’hui à 47 000. Il y a eu environ 2 200 départs en retraite et quelques fins de contrat. Et aussi 600 licenciements », calcule Jean-Pierre Ferret. Le président du CSN assure qu’il travaille avec les syndicats des salariés de la profession, « main dans la main pour préserver l’emploi ». Selon lui, « le notariat s’efforce de conserver ses collaborateurs » en privilégiant « formations de longue durée et chômage partiel ». La CGT n’est pourtant pas de cet avis. La centrale syndicale représentant les salariés des études reproche aux notaires de ne pas avoir su gérer la croissance économique de ces dernières années. Selon le syndicat, le nombre de licenciements pourrait atteindre « 7 000 à 9 000 » d’ici la fin de l’année. « Il y a une précipitation à licencier alors que ce n’est pas toujours justifié », estime, dans Le Figaro, le syndicaliste Pierre Lestard.

Les notaires ont eu peur

Le notariat estime toutefois tirer de la crise un bénéfice... intellectuel. L’effondrement des crédits subprimes aux Etats-Unis puis des valeurs boursières fournirait la preuve, si l’on suit le raisonnement de Jean-Pierre Ferret, que l’économie mondiale a besoin du droit écrit et des notaires. « Jusqu’en France, patrie du Code civil, certains ne cessaient de vanter l’efficacité de la Common law dont les faiblesses éclatent sous nos yeux », lance-t-il, très applaudi. Le notariat, ajoute le président du CSN en visant le rapport de Jacques Attali sur la croissance publié en août 2007, « a été stigmatisé par ceux qui voyaient dans la dérégulation et l’abandon de toute contrainte la voie royale du retour à la croissance. Les événements apportent un démenti cruel à leurs théories ».
Les notaires ont eu peur, reconnaît-on dans les arcanes de la profession. A l’automne dernier, la mission confiée par le président de la République à l’avocat d’affaires Jean-Michel Darrois ne visait-elle pas à créer une « grande profession du droit » ? La formule cachait, selon le CSN, « l’absorption » des notaires par les avocats.
Certes, les premières informations filtrant de la commission Darrois se sont montrées rapidement rassurantes pour les notaires. Début avril, le rapport confirmait le rejet de la grande profession, proclamé à l’unanimité par les membres de la commission. Le notariat, qui revendique sa « loyauté » à l’égard du pouvoir exécutif, redoute en revanche certaines des suggestions émises par le rapport Darrois. La profession refuse ainsi de participer au financement de l’aide juridictionnelle et s’offusque de la création annoncée d’un « acte d’avocat » qui permettrait aux robes noires de garantir, par leur signature, un contrat de bail ou la cession des parts sociales d’une entreprise.
Les notaires craignent que l’on assimile cet acte avec l’acte authentique, dont ils détiennent le monopole. Jean-Pierre Ferret ne décolère pas contre « le barreau » qui « n’a eu de cesse d’entretenir la confusion avec l’acte authentique, laissant croire le non juriste à une sorte d’équivalence trompeuse alors que la responsabilité et les garanties offertes sont loin d’être identiques ». Le président du CSN s’en prend aussi aux « nombreux articles écrits par des avocats à notre propos ». Sa conclusion est sans appel : « Je vous déconseille, mes chers confrères, de faire de même ». Et de stigmatiser les « contre-vérités, insinuations, mauvais procès, propos désinvoltes, à-peu-près et amalgames ».

Le soutien de Rachida Dati

Pour autant, affirme Jean-Pierre Ferret, le notariat veut désormais « travailler en paix ». Dépeignant une profession agressée de toutes parts et n’aspirant qu’à la cessation des « hostilités », le responsable du notariat s’en remet à la Garde des sceaux, qui n’a, depuis sa nomination en mai 2007, jamais caché sa sympathie pour la profession.
Ecoutant avec attention les discours du président du CSN, Rachida Dati sourit à l’évocation des travers des avocats. Présente pour la troisième fois au congrès des notaires, la ministre assure les praticiens qu’elle a « entendu » leur « inquiétude » au sujet de l’« acte d’avocat ». Avant elle, comme tous les maires, de gauche comme de droite, ayant accueilli le congrès dans leur ville, Martine Aubry a, elle aussi, tressé les louanges des notaires « qui sont là, comme les médecins, quand on en a besoin ».
Rachida Dati soutient « avec vigueur » la profession dans un autre dossier délicat. La France est en effet poursuivie par les institutions européennes devant la Cour européenne de justice de Luxembourg, au nom de la libre circulation des citoyens, en raison de la condition de nationalité des notaires, qui impose aux praticiens exerçant en France d’avoir la nationalité française. Cette disposition est « directement liée à l’exercice de l’autorité publique », affirme Jean-Pierre Ferret.
La profession ne voit pas de contradiction à réclamer la circulation des actes authentiques dans l’espace européen, une autre demande que la ministre reprend volontiers à son compte. Candidate aux élections européennes de juin, Rachida Dati sait qu’elle ne sera plus Garde des sceaux lors du prochain congrès des notaires, à Bordeaux, en mai 2010. Avant de saluer une dernière fois les praticiens, elle leur adresse un message éloquent. « Sachez que, quel que soit l’endroit où je pourrais me trouver, je serai toujours à vos côtés ».

Massages sur les stands

« Moins de monde que l’an dernier ». Sur le salon, les exposants, associations, gestionnaires de patrimoine, généalogistes, se passent le mot. Les notaires seraient venus moins nombreux qu’à l’accoutumée et d’ailleurs, entre les stands, « on ne voit personne », même vers midi ou 18 heures, lorsque les séances de travail se terminent. Renseignement pris, on compte moins d’exposants que les autres années ce qui, dans la halle du Grand palais de Lille, « laisse des espaces plus larges entre les stands, donnant cette impression de vide », précise-t-on au CSN. Les associations, marquées par la récession, auraient en outre moins tendance que par le passé à offrir une coupe de champagne. Au stand de l’ARC, on justifie ce régime sec par une considération sanitaire : « l’alcool est cancérigène ». En revanche, les notaires et leurs accompagnants ont pu bénéficier de massages relaxants grâce aux Petits frères des pauvres. A raison d’un « client » toutes les vingt minutes, le masseur, Patrick Caillier, installé à Lambersart (Nord), a attiré à lui seul des dizaines de personnes sur le stand de l’association.

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