Le show des notaires

Le show des notaires

Réunis dans un gigantesque séminaire de brainstorming au Zénith, à Paris, les notaires tentent de cultiver une image moderne. Cela n’empêche pas la profession de nourrir de fortes inquiétudes face à la concurrence des avocats.

On se croirait dans un séminaire de motivation des cadres d’une multinationale conquérante. Les projecteurs diffusent une lumière rouge, une musique tonitruante semble entretenir un insupportable suspense. Sur scène, des intervenants arborant un badge comme on en voit dans les campagnes électorales aux Etats-Unis se disent prêts à « oser le changement », à « améliorer le service rendu aux clients » et à « mutualiser les ressources ». Pour ces « Etats généraux du notariat » qui rassemblent le 28 janvier une majorité des 9 000 notaires français au Zénith, à Paris, la profession a fait les choses en grand.
Pour motiver ses ouailles, le Conseil supérieur du notariat (CSN) travaille depuis plusieurs mois, avec l’aide de groupes de travail constitués de praticiens, à un « Projet des notaires de France » qui doit s’appliquer d’ici à 2020. Cette démarche, semblable aux mots d’ordre du type « zéro défaut » que l’on développe dans les entreprises, vise à « passer d’une logique de dossier à une logique de client », explique l’un des notaires mobilisés par l’opération. L’intervention d’un professionnel ne doit plus être « subie » mais « volontaire » ; il ne s’agit plus seulement de « répondre aux questions » mais d’« aider le client à se poser les bonnes questions ».

Le « Projet des notaires de France » propose également une « solidarité active » entre les professionnels. Les notaires pourraient ainsi recourir à une centrale d’achats pour se fournir en matériel de bureau et tenir des archives communes. A terme, les offices notariaux seraient amenés à « partager leurs ressources humaines », le secrétariat, mais aussi les informaticiens et même les collaborateurs. Les actes notariés seraient alors rédigés dans des « centres de production d’actes » ce qui permettrait de « conserver dans les études les collaborateurs les plus efficaces », affirme l’un des praticiens. D’autres centres, cette fois consacrés à la spécialisation, mettraient en contact des notaires généralistes avec des spécialistes, à l’image de ce que font déjà les médecins. Les milliers de notaires qui, fair-play, applaudissaient jusque là les prestations de leurs confrères, se mettent à murmurer. On croit furtivement entendre l’expression « usine à gaz ». Les praticiens, de nature individualiste, s’imaginent mal, en effet, conseiller à leurs clients de s’adresser à l’un de leurs confrères.

« Avocats sans cause »

Après cette séance de brainstorming enthousiaste, les Etats généraux du notariat reviennent à un mode plus classique. Face au Garde des sceaux, Jean-Pierre Ferret, président du CSN, fait état de « l’inquiétude, l’incompréhension, parfois la colère » qui, dit-il, gagnent les rangs des notaires. La profession n’a jamais digéré le rapport Attali qui, en 2007, souhaitait « libérer la croissance », inspirant au président de la République un commentaire sur la « rente de situation » des notaires. Dénonçant tour à tour « le libéralisme effréné », les « ayatollahs » et « les visées impérialistes de la common law », le porte-parole du notariat relate l’émotion de la profession lorsque l’avocat d’affaires, Jean-Michel Darrois, a été chargé, fin 2008, d’un rapport devant porter sur la fusion des professions juridiques. Puis l’attaque se fait plus frontale, contre « les effectifs du Barreau qui croissent sans contrôle, grossissant le nombre d’avocats sans cause, vivant difficilement de l’aide juridictionnelle ».

La réelle inquiétude des notaires porte toutefois sur l’acte contresigné par les avocats, cet instrument imaginé par le rapport Darrois pour compenser la déception des avocats suite à l’abandon de la fusion des professions. La figure du député UMP Etienne Blanc, qui a déposé une proposition de loi sur ce thème, est devenue, pour tous, le symbole de la bataille que se livrent les deux professions. Dans un communiqué publié à la veille des Etats généraux du notariat, Philippe Delattre, président du conseil régional des notaires du Nord-Pas-de-Calais, se réjouit ainsi que la proposition du parlementaire n’ait « recueilli qu’une trentaine de signatures » et estime que l’acte d’avocat constitue une « remise en cause d’un système juridique pérenne dans la majorité des pays de l’UE ».

Jean-Pierre Ferret se targue d’avoir su organiser un lobby efficace auprès de la Chancellerie qui a bientôt recadré l’instrument et l’a assorti de mesures favorables au notariat. « Vous avez pris le dossier en main », lance-t-il à une Michèle Alliot-Marie tout sourire. La ministre n’hésite pas, en réponse, à lancer quelques phrases qui, elle a dû le remarquer, font toujours plaisir aux notaires. « Juristes de proximité, fidèles aux valeurs du service public », les praticiens « exercent une mission fondamentale au sein de notre société », affirme-t-elle. Mais Michèle Alliot-Marie sait aussi se montrer directive. Après avoir rappelé la différence entre le futur acte contresigné par avocat et l’acte authentique, elle demande aux praticiens de « développer l’ouverture internationale » et de « ne pas perdre de temps avec des querelles d’un autre âge ». Puis, après les sifflets que provoque cette dernière remarque, la ministre assène : « c’est valable pour tout le monde, que cela vous plaise ou non ». Fière de son passage au ministère de la Défense, elle demande enfin aux notaires de ne pas se laisser abattre, car « la meilleure défense, c’est l’attaque ». Une semaine plus tôt, elle avait lancé la même phrase aux bâtonniers.

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