Profits : Cotis au rapport

  • Par --
  • le 28 mai 2009

Un exercice difficile pour Jean-Philippe Cotis, directeur de l’Insee, que le rapport demandé par le Président de la République. Car ce dernier avait déjà promulgué la martingale d’une juste répartition des profits des entreprises. Sa « règle des trois tiers » est très séduisante sur le papier. Mais elle ne fonctionne pas vraiment dans le monde réel.

Ah, le partage de la valeur ajoutée ! Voilà un sujet qui préoccupe depuis toujours la sphère de l’économie politique, cette discipline qui laboure sans relâche le terrain de la création et de la répartition des richesses. Pour la création, l’ingéniosité humaine y pourvoit largement, trop largement, même, puisque nous sommes de nouveau entrés dans une phase de surproduction. Et faute de répartir équitablement les surplus, la crise en cours promet de distribuer injustement les embarras : comme le dit le proverbe chinois, quand les riches maigrissent, les pauvres meurent. Et encore appelons-nous ici « richesses » celles résultant du processus de production (de biens et de services), sens que lui accordaient autrefois les économistes, avant d’adopter en masse une révolution sémantique. Car depuis quelques lustres, les entreprises sont réputées « créer de la valeur » lorsque la Bourse fait augmenter le prix de leurs actions. Nous n’irons pas jusqu’à prétendre qu’il n’y a aucun rapport entre le cours d’un titre et la capacité de la société qu’il représente à créer des richesses. Mais les faits démontrent abondamment que le marché confond désormais les effets et les causes : les bénéfices sont maintenant d’autant plus désirables qu’ils résultent d’une activité virtuelle. Le summum du raffinement, c’est de gagner de l’argent sans rien produire. C’était, devrait-on dire, car le principe de réalité va nécessairement revenir sur le devant de la scène.

Bien qu’il demeure encore aujourd’hui en coulisses, si l’on en croit le graphique éclairant publié par www.chartoftheday.com : les bénéfices des principales sociétés américaines (composant l’indice S&P 500) auraient enregistré une chute historique, comparable à celle de l’année 1936. Si bien que le ratio P/E (cours sur bénéfices) s’établirait à environ 120. En clair, cela signifie que sur la base des cours actuels, il faut environ 120 ans pour obtenir le retour sur le capital grâce au flux des bénéfices. Les actions sont donc bel et bien un placement à (très) long terme… Cela signifie accessoirement que les actionnaires seraient devenus incroyablement modérés dans leurs attentes, et qu’ils sont prêts à renoncer à une large part de leur rémunération. Telle n’a pas été la tendance enregistrée sur les quinze dernières années, puisque les dividendes sont passés, sur cette période, de 7% à 16% de l’EBE (excédent brut d’exploitation) des entreprises. Il est également avéré que, sur cette même période, les investisseurs ont reçu plus d’argent des sociétés cotées qu’ils ne leur en ont apporté, contredisant la vocation autoproclamée de la Bourse d’être la principale source de financement des entreprises (en fonds propres, s’entend, car les marchés financiers ont consenti beaucoup de crédit aux firmes). Bref, au travers de ces éléments contradictoires, on comprend qu’il n’était pas très aisé au directeur de l’Insee de produire son rapport sur le partage de la valeur ajoutée.

Un optimum variable

C’est le Président de la République lui-même qui a demandé ce travail à Jean-Philippe Cotis, après avoir publiquement exprimé son avis sur la répartition optimale des profits des entreprises. Ce qui n’est pas la même chose, comme vous l’aurez noté : la valeur ajoutée résulte de la différence entre le prix de la production vendue et le coût des facteurs de production – donc avant paiement des salaires. Le profit net est ce qui reste après imputation de toutes les charges, amortissements et intérêts – et impôts, bien entendu. Selon le souhait présidentiel, ce profit net devrait être découpé en trois tranches égales : l’une revenant à l’entreprise, une autre aux salariés et la troisième aux actionnaires. Mais comme le remarquent certains critiques perfides, les profits sont aujourd’hui ainsi répartis : 57% à l’entreprise (destinés aux investissements), 36% aux actionnaires (destinés aux dividendes) et 7% aux salariés (sous la forme d’épargne salariale). Si l’on devait satisfaire aux vœux élyséens, il faudrait ainsi rogner considérablement la part dévolue aux investissements, ce qui aurait des conséquences calamiteuses pour l’appareil productif (ces mêmes investissements sont déjà considérés comme trop faibles dans notre pays). Autant donc le dire tout net : la division sarkozyenne du profit ne fera pas recette dans l’histoire de la pensée économique !

En revanche, les interrogations méritent de se focaliser sur la répartition de la valeur ajoutée. Car c’est sur cette dernière que se rémunèrent à la fois le travail et le capital – dont les intérêts sont ainsi strictement antagonistes. Le rapport Cotis a choisi de placer son analyse sur une longue période, pour constater que la part salariale dans la valeur ajoutée est aujourd’hui presque identique (environ 65%) à celle de l’après-guerre. Moralité : c’était la même chose autrefois, et personne ne se plaignait. Sauf, évidemment, que le contexte présent n’est pas vraiment comparable à celui de la première phase des Trente Glorieuses. Et qu’entre deux, cette part a quelquefois représenté beaucoup plus – trop, du reste, au point de pénaliser alors l’investissement. Il en résulte ce constat : le partage semble principalement résulter du rapport de forces entre les salariés et les actionnaires, ce qui n’a rien de surprenant en régime capitaliste. Au contraire, ce qui est plus étonnant, c’est la stabilisation du ratio en question depuis le début des années 1990. Alors que la montée en puissance de la mondialisation exerce, sur la même période, une forte pression déflationniste sur les salaires. Cela n’empêche pas, pour autant, les revenus du travail d’être à ce jour trop faibles pour entretenir correctement la croissance. Comment sortir de cette impasse ? On ne peut exclure ni une sévère mise au pas des actionnaires, ni, dans l’autre sens, une baisse généralisée des salaires. Dans un cas comme dans l’autre, les intéressés ne se feront pas saigner sans se débattre…

deconnecte