EIRL : une vraie fausse

EIRL : une vraie fausse bonne idée pour les entrepreneurs ?

L’Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée (EIRL) : une vraie fausse bonne idée pour les entrepreneurs ? Ebauche d’un premier bilan juridique et fiscal.

Adopté en conseil des ministres le 27 janvier 2010, le projet de loi relatif à l’Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée (EIRL) a été adopté, en première lecture par l’Assemblée Nationale, le 17 février 2010, avant d’être transmis au Sénat. Le texte de loi dans sa version définitive (la « Loi sur l’EIRL ») a été finalement adopté en seconde lecture par l’Assemblée Nationale le 15 juin 2010 (loi n°2010-658).

Le statut de l’EIRL est inspiré par le souci, tout à fait louable, de limiter la responsabilité des entrepreneurs individuels à des biens spécifiquement affectés à leur activité professionnelle. En effet, le principe juridique de l’unicité du patrimoine des personnes fait que le patrimoine privé des entrepreneurs individuels se confond avec leur patrimoine professionnel : ce qui rend, en principe, le patrimoine privé des entrepreneurs individuels entièrement saisissable par d’éventuels créanciers au titre de dettes résultant de leur activité professionnelle.

Afin de pallier les conséquences potentiellement négatives de l’unicité du patrimoine, le législateur avait déjà aménagé la possibilité pour les entrepreneurs individuels de rendre insaisissable leurs biens immobiliers non affectés à leur activité professionnelle (Loi de 2003 : déclaration d’insaisissabilité de la résidence principale, étendue par la loi dite de modernisation de l’économie d’août 2008 aux autres biens immobiliers non professionnels).

Le statut de l’EIRL a, en outre, permis de créer un patrimoine d’affectation professionnel ayant vocation à limiter la prise de risques de l’entrepreneur individuel à des biens spécifiques dédiés à son activité professionnelle. Cette évolution est en soi une petite révolution juridique dans la mesure où elle remet en cause le sacro saint principe civiliste français de l’unicité du patrimoine !

Cependant, si on comprend bien la philosophie et on peut apprécier les intentions positives qui animent le législateur à l’égard des entrepreneurs, on doit néanmoins s’interroger sur les conséquences, peut-être aux contours encore incertains, sinon dans certains cas défavorables de cette évolution.

1. Un régime fiscal et social moins favorable que celui de l’EURL ou (SARL unipersonnelle)

Le statut de l’EIRL permet (tout comme pour le statut de l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée : EURL ou SARL unipersonnelle) de choisir entre le régime de l’impôt sur le revenu ou celui de l’impôt sur les sociétés (imposition des bénéfices aux taux de 15% jusqu’à 38.120 euros de bénéfice et de 33 1/3% au-delà). Ce qui est certainement en soi une bonne chose.

Cependant, le régime fiscal de l’EIRL est assorti d’une clause dite « anti-abus », destinée à limiter l’ampleur de l’optimisation sociale à laquelle pourraient se livrer les EIRL ayant opté pour l’impôt sur les sociétés.
En effet, l’entrepreneur qui opte pour l’impôt sur les sociétés peut se rémunérer soit en se versant un salaire, soit en se versant des dividendes. Or, ces derniers, à la différence des salaires, des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et des bénéfices non commerciaux (BNC), ne sont pas soumis à cotisations sociales mais seulement à la CSG et à la CRDS. La possibilité d’opter pour l’impôt sur les sociétés entraîne donc un risque de pertes de recettes pour la sécurité sociale.
C’est pour limiter ce risque que l’article 4 de la Loi sur l’EIRL dispose que les dividendes dont le montant excède 10 % de la valeur du patrimoine affecté (ou 10 % du bénéfice net réalisé, si ce montant est supérieur au seuil précédent) sont soumis aux cotisations d’assurance maladie et maternité, d’allocations familiales et d’assurance vieillesse.

Il en résulte qu’à partir de ce seuil de 10 % de la valeur du patrimoine affecté ou du bénéfice net réalisé (selon le cas), les dividendes sont requalifiés en revenus du travail.

En d’autres termes, la part de la rémunération de l’entrepreneur individuel bénéficiant du régime social des dividendes est plafonnée à 10% de la valeur du patrimoine affecté ou des bénéfices (selon le cas). Au-delà de ce plafond, les dividendes sont assujettis aux cotisations sociales.

On doit ainsi distinguer ce qui relèvera de la rémunération du travail de l’entrepreneur (assujettie aux cotisations sociales) et ce qui relèvera du dividende (non assujetti aux cotisations sociales).

Ce régime est sans doute une avancée substantielle si on le compare au statut de l’entreprise individuelle de droit commun où tout bénéfice est assujetti aux cotisations sociales.

Cependant, cette analyse ne vaut plus si on le compare à celui de l’EURL (ou SARL unipersonnelle). Il est même, à mon avis, une erreur de voir le statut de l’EIRL préférentiellement choisi par un nombre de plus en plus grand d’entrepreneurs, au détriment du choix de l’EURL (ou SARL unipersonnelle) qui présente des avantages sur les plans social et fiscal qui paraissent toujours supérieurs.

1.1. Sur le plan social, le choix de l’EURL (ou SARL unipersonnelle), avec option pour l’impôt sur les sociétés, permet (comme dans l’EIRL) de distinguer la rémunération du travail (ou de gérance) de l’associé unique-Gérant, de son dividende (bénéfice mis en distribution rémunérant le capital), mais ce, sans que le montant du dividende de l’associé unique-Gérant ne soit plafonné (comme dans l’EIRL) à 10% de la valeur du patrimoine affecté ou des bénéfices réalisés.

En effet, un associé unique-Gérant d’EURL, peut raisonnablement décider de se distribuer un dividende égal à un montant pouvant, le cas échéant, égaler sa rémunération de gérance (sur une base annuelle). L’économie de cotisations sociales en résultant (par rapport à l’entreprise individuelle ordinaire) porterait ainsi sur une base égale au montant total du dividende distribué (soit, dans notre hypothèse, sur la moitié de la rémunération totale de l’associé unique-Gérant).

A l’inverse, le choix de l’EIRL limitera substantiellement cette économie de cotisations sociales, qui est basée sur une répartition le plus possible égalitaire entre la rémunération de l’associé unique-Gérant et le dividende distribué, dans la mesure où seulement 10% du montant du bénéfice de l’EIRL (ou, selon le cas, 10% de la valeur des biens affectés à l’EIRL) pourra être traité comme un dividende, le solde devant être obligatoirement traité comme une rémunération du travail pleinement assujettie à cotisations sociales.

1.2. Sur un plan fiscal, les dividendes bénéficient d’un régime d’imposition encore relativement favorable :

(a) Un abattement fixe annuel (1.525 euros pour un célibataire et 3.050 euros pour un couple en 2011) outre un abattement d’assiette proportionnel de 40% sur le montant brut du dividende (à comparer à un abattement de 10% pour frais professionnels s’agissant de la rémunération du Gérant), ou

(b) Dans le cas de l’option pour le prélèvement libératoire de l’impôt sur le revenu : une imposition au taux de 19% (24% à compter du 1er janvier 2012 pour les foyers imposés au barème progressif dans la tranche à 41%), outre les contributions sociales au taux de 13,5% (en 2011).

Il en résulte que la limitation du montant du dividende dans l’EIRL (à 10% du montant des bénéfices ou du montant des biens affectés) est, par rapport à l’EURL (ou SARL unipersonnelle) dans laquelle l’associé unique-Gérant peut raisonnablement se verser un dividende pouvant égaler sa rémunération de gérance, le cas échéant, moins avantageuse, pour l’entrepreneur, au regard calcul du de son impôt sur le revenu.

A ces paramètres fiscaux et sociaux, peuvent, en outre, s’ajouter également des paramètres juridiques d’ordre patrimonial.

2. Un régime juridique plus incertain et de ce fait plus à risques sur un plan patrimonial que celui de l’EURL (ou SARL unipersonnelle)

Le choix de l’EURL (ou SARL unipersonnelle) est celui de la création d’une personne morale (ou société commerciale) dont le patrimoine ne peut se confondre en tout ou partie avec le patrimoine de l’entrepreneur (dans la mesure où il s’agit, sur le plan juridique, de deux personnes bien distinctes). Dans une EURL (ou SARL unipersonnelle), il n’y pas d’affectation de biens à un patrimoine professionnel dédié, comme dans l’EIRL, mais constitution d’un patrimoine social propre distinct de celui de l’entrepreneur (et auquel on évitera d’apporter les biens personnels de l’entrepreneur).

Or il est généralement vivement recommandé, sur le plan patrimonial, de séparer son patrimoine privé de son patrimoine professionnel. En particulier, il est souvent préconisé, notamment, de séparer l’immobilier affecté à son activité professionnelle (pouvant être détenu, par exemple, à travers une société civile immobilière) de l’exploitation commerciale réalisée, par exemple, à travers une EURL (ou SARL unipersonnelle), et du reste du patrimoine de l’entrepreneur (qui resterait ainsi strictement privé). En cas de difficultés économiques de l’entreprise, cette solution basée sur une séparation stricte des divers éléments du patrimoine semble a priori toujours offrir de meilleures garanties pour l’entrepreneur.

A l’inverse, le nouveau statut de l’EIRL créé une incertitude qui peut être génératrice de difficultés quant à l’étendue des garanties personnelles ou réelles que l’entrepreneur peut offrir à ses créanciers professionnels, notamment les banques. On pourrait, notamment, imaginer l’apparition dans des contrats de financement de nouvelles sûretés négatives, notamment pour interdire au débiteur l’adoption du statut de l’EIRL ou l’obliger à affecter certains biens à son patrimoine professionnel (voir article paru [1]) .

Au demeurant, il est à noter que l’on peut rapprocher (sinon opposer pour les besoins de la comparaison) le mécanisme juridique de l’EIRL, qui vise à créer un patrimoine d’affectation à vocation professionnelle auquel la responsabilité de l’entrepreneur individuel est limitée, du mécanisme de la fiducie de droit français (dont la loi a récemment modifié les contours - Cf. colloque de l’AAPDA du 4 décembre 2009) qui prévoit la création d’un patrimoine d’affectation qui est transféré à un fiduciaire en vue notamment de le gérer (et, le cas échéant, de le protéger).

En effet, dans le cadre d’une fiducie, une personne physique (appelée constituant) exerçant en entreprise individuelle (ou en société) une activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale peut transférer une partie de son patrimoine personnel (bien immeuble, portefeuille de titres, contrat d’assurance, etc.) dans une fiducie. Le transfert de propriété au fiduciaire, pour une période déterminée, des biens choisis pour cette affectation par le constituant est opéré par le contrat de fiducie.

Le fiduciaire doit, en vertu du contrat de fiducie et pendant sa durée, administrer le patrimoine fiduciaire au mieux des intérêts du ou des bénéficiaire(s) (qui pourraient être le constituant et, le cas échéant, les héritiers nés ou à naître du constituant).
Le patrimoine du constituant entrepreneur individuel affecté à la fiducie et transféré au fiduciaire, en vertu du contrat de fiducie et pour sa durée, peut être ainsi mis à l’abri des aléas économiques que pourrait connaître l’entreprise individuelle (ou la société) du constituant et ce, pendant toute la durée du contrat de fiducie (qui est contractuellement librement fixée jusqu’à 99 ans).
Le nouveau régime de la fiducie n’apporterait-il pas une solution patrimoniale innovante, permettant de mieux répondre au besoin de protection de certains actifs personnels qu’un entrepreneur (individuel ou en société) pourrait décider de transférer en fiducie en vue, notamment, de les protéger ?

Dans ce contexte et compte tenu des l’ensemble des raisons évoquées ci-dessus, on peut véritablement se poser la question de l’opportunité du choix du statut de l’EIRL, par rapport à celui de l’EURL (ou SARL unipersonnelle, avec ou sans fiducie), qui risque de poser à terme plus de questions et de soulever plus d’incertitudes sur le plan juridique qu’il n’en résout.

Le choix de l’EIRL peut s’avérer, en revanche, plus générateur de recettes pour le Trésor Public et pour les organismes de Sécurité sociale que celui de l’EURL (ou SARL unipersonnelle). Les pouvoirs publics ont donc sans doute intérêt, en ces temps difficiles, à promouvoir ce statut au détriment de l’EURL (ou SARL unipersonnelle).

De même, ceux qui pourraient être tentés de laisser penser aux entrepreneurs que l’on peut se passer des professionnels du droit pour faire le choix de la forme juridique adaptée (notamment en vendant des « packs » intégrés pour l’EIRL) semblent aussi s’engager résolument dans la promotion de ce nouveau statut.

Mais est-ce bien là toujours l’intérêt des entrepreneurs ?

[1Article : « L’EIRL et les sûretés négatives – un vin nouveau pour de vieilles outres » paru dans La semaine juridique – entreprises et affaires n°23 du 9 juin 2011 par Me Eric Cevaër et Me Pierre-Emmanuel Perrot).

Crédit photo : Photos Libres

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