L'Europe contre le (...)

L’Europe contre le dumping social

Les ministres européens du Travail viennent de s’accorder pour revoir l’encadrement des travailleurs détachés, ces salariés européens qui peuvent travailler temporairement dans un autre Etat de l’Union. La responsabilité solidaire du maître d’ouvrage pourra être engagée, dans le BTP, en cas de fraude. Les contrôles contre les abus liés à ce statut seront renforcés. Retour sur le dossier.

Le statut de travailleur détaché est défini par la directive européenne 96/71/CE du 16 décembre 1996. Le principe est que les travailleurs dits « détachés » sont envoyés « provisoirement » par leurs employeurs dans un Etat membre de l’Union européenne, pour y poursuivre leurs fonctions. Une entreprise peut, par exemple, remporter un contrat dans un autre pays et décider d’envoyer ses employés exécuter ce contrat sur place.

Les règles qui s’appliquent

Certaines conditions sont indispensables :
- le lien de subordination doit demeurer avec l’employeur étranger : le travailleur étranger doit être payé par l’entreprise étrangère et recevoir ses ordres uniquement de celle-ci ;
- le travailleur étranger ne peut pas avoir été embauché juste pour son détachement ;
- l’entreprise doit être « habituellement » installée dans le pays étranger : si elle vient juste de s’y délocaliser, ses collaborateurs ne pourront pas bénéficier du statut de détaché ;
- la durée du détachement est limitée : entre 12 et 24 mois.
Cette directive de 1996 a été transposée en droit français : articles L. 1261-1 à L. 1263-2 du Code du travail.
Si ces éléments sont respectés, le texte européen prévoit deux aspects :
- la prestation de services doit se faire aux conditions d’emploi du pays d’accueil. Les travailleurs détachés bénéficient ainsi du salaire minimum du pays concerné, de ses conditions de travail et de ses congés. Ainsi, par exemple, un travailleur irlandais détaché en France doit toucher au moins le Smic français ;
- en revanche, les charges sociales appliquées au contrat sont celles du pays d’origine. Ce qui, concrètement, permet à une entreprise d’employer des travailleurs à moindre coût, dans des pays aux charges sociales nettement plus élevées.
Bizarrement donc, au niveau droit du travail, le salarié détaché dépend de la législation du pays d’accueil. En matière de protection sociale, il demeure régi par les dispositions de l’Etat d’origine. Or, cette situation entraîne un manque à gagner pour les organismes de sécurité sociale français.
Si Paris a fait monter la pression pour une révision de la directive, la France a cependant tendance à oublier que celle-ci était à l’origine avantageuse pour elle, puisque les salariés français détachés à l’étranger continuaient de bénéficier de la protection sociale française. Le problème aujourd’hui, c’est que cette directive s’est retournée contre la France au système de protection social trop onéreux (la France est soumise à un taux de 51,7% contre 39,4% en Allemagne, 26% en Pologne et 17,9% en Croatie).

Chiffres en hausse

Il y avait 40 000 salariés détachés en France (officiellement déclarés), en 2006, 150 000 en 2011. Ils seraient aujourd’hui plus de 300 000. Selon un rapport du Sénat, publié en avril dernier, « la France est le deuxième pays d’accueil, derrière l’Allemagne (311 000 travailleurs détachés en 2011) et devant la Belgique (125 000). La durée moyenne du détachement par salarié s’établit à cinquante jours », soit 21 500 emplois en équivalent temps plein. Les salariés détachés en France d’origine européenne sont en majorité polonais (19 %), portugais (11 %) et roumains (9 %). Les principaux secteurs concernés sont la construction et les travaux publics (un tiers des salariés détachés en 2011, 42% en 2013, selon les derniers chiffres du ministère du Travail), l’industrie (25%), et le travail temporaire (20%).

Le débat

Certains pays, dont la France et l’Allemagne (le recours aux travailleurs détachés est très répandu dans les abattoirs allemands), entendent renforcer les contrôles et lutter contre ces dérives générées par le recours de plus en plus fréquent à la main-d’œuvre détachée, notamment en matière de cotisations sociales. En revanche, pour d’autres pays, comme la Grande Bretagne, un renforcement des moyens de contrôle va à l’encontre du principe de libre circulation des travailleurs au sein de l’Union. La Pologne s’est finalement ralliée à la position franco-allemande.
Toutefois, les contrôles en France, sont peu nombreux (environ 2 000, par an), les inspections du travail se plaignant de ne pas avoir les moyens de lutter contre ce « déferlement » de salariés étrangers.

Plan de lutte français

Le but de la France à Bruxelles était de parvenir à un accord avec les autres pays de l’Union, pour endiguer ce phénomène « de trafic de main-d’œuvre ». En attendant, le gouvernement s’était saisi de la question. Le ministre du Travail, Michel Sapin, a en effet annoncé, le 27 novembre, en Conseil des ministres, la mise en place d’un plan de lutte contre le détachement abusif. Il a évoqué trois principales mesures :

- intensifier le contrôle des abus par l’inspection du travail ( qui verra ces pouvoirs renforcés, après sa réorganisation, en 2014), en priorité vers les secteurs où des dérives sont constatées ;
- renforcer la prévention de la fraude. Dans les principales branches concernées, l’engagement des partenaires sociaux aux côtés des administrations de contrôle sera matérialisé par des conventions de partenariat ;
- enfin, le renforcement de l’arsenal législatif national sera complété. L’objectif est de responsabiliser davantage les maîtres d’ouvrage et les donneurs d’ordre quand ils recourent à des sous-traitants multiples. Et de faciliter les recours judiciaires des organisations professionnelles et syndicales pour leur permettre de se constituer parties civiles, en cas de travail illégal.

On se souvient de la directive Bolkestein sur la libéralisation des services ( le fameux « plombier polonais ») qui avait lourdement pesé dans les débats du référendum sur la Constitution européenne en 2005. A six mois des élections européennes de 2014, la directive sur le détachement a déclenché la polémique, dénoncée sous les vocables de « dumping social » ou de « travailleurs low cost ». Reste maintenant au Parlement européen à valider l’accord du 9 décembre, pour éviter de polluer le débat électoral.

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